jeunesse », et ne les publie point, sans doute par esprit de mortification. Plus sévère encore que du Bartas et Vauquelin de la Fresnaye, il n’a pas assez d’injures pour ces poètes courtisans et frivoles, au nombre desquels il a mérité d’être compté un moment (cf. IV, 73, Princes), Le temps est passé des amusements stériles : le poète n’a plus le droit de se désintéresser des périls et des tristesses de l’heure présente, il a au contraire la noble mission d’en flétrir les misères et d’éclairer les âmes :
Cueillons des fruits amers desquels il est fertile…
Ainsi d’Aubigné exprime avec une netteté parfaite le principe directeur de la poétique nouvelle : il l’applique aussi avec une parfaite rigueur. Il ne perd jamais de vue son but, qui est de découvrir et de montrer aux hommes la vérité et la justice. À chaque instant il adresse à Dieu de vives prières, lui demandant de le rendre « propre à sa vérité « (cf. Misères, v. 30 ; et IV, 241, Veng,) et faisant vœu en retour de n’écrire qu’à sa gloire. Mais si l’inspiration du poème est hautement morale et religieuse, c’est avant tout la satire que d’Aubigné fera servir à la morale et à la religion, et la satire de l’espèce la plus violente et la plus âpre (IV, 71, Princes) :
En bouchant les naseaux, fronceront le sourcy. Ceux qui verront cecy,
C’est donc de propos délibéré que d’Aubigné donne à un ouvrage d’édification l’allure d’un pamphlet : et c’est le mélange intime de ces deux éléments si divers qui fait pour une bonne part l’intérêt et la nouveauté de cet étrange poème. Les Tragiques sont comme l’immense geste huguenote, où toutes les chansons et tous les pamphlets réformés sont venus prendre leur place naturelle, transformés et épurés par la flamme d’une inspiration plus haute. Commencés en pamphlet, ils continuent en histoire et s’achèvent en prophétie. Après avoir rassemblé dans les Misères toutes les iniquités et toutes les tristesses du temps, après avoir flétri dans les Princes les débauches et les crimes de la cour et dans la Chambre dorée le trafic éhonté de la justice, d’Aubigné retrace dans les Feux l’ère douloureuse du