Obligée de demander ses inspirations aux besoins de l’heure présente, la poésie ne se borne pas toujours à les exprimer et à les diriger de haut : elle prend un caractère militant, elle devient un instrument aux mains des partis. Il n’était pas impossible qu’un homme se rencontrât, d’âme haute et fière, mais en même temps ardente et passionnée, en qui vinssent s’unir ces deux tendances en apparence si contraires. Cet homme fut Agrippa d’Aubigné.
Protestant convaincu et inflexible, d’Aubigné se plaisait à prêcher, à enseigner, à sermonner. Il aimait à diriger les âmes[1] et c’est lui qui réconfortait Henri IV dans ses défaillances. Il aimait aussi à briller dans les assemblées protestantes ou dans les discussions avec les prélats catholiques par son éloquence et par son érudition théologique (cf. I, 386, 390, Lettres), Il consacre sa vieillesse studieuse à l’étude des livres saints (cf. I, 473, Lettres) et à la publication d’ouvrages de controverse religieuse et de piété[2]. Mais s’il est moraliste et prédicateur, ce n’est là qu’un aspect de son génie, et il est aussi, et au même degré, polémiste et pamphlétaire. Soldat aventureux et téméraire, mêlé à tous les événements et agité de toutes les passions de son temps, il serait incapable de conserver le calme et la sérénité de Du Bartas. Il aime la lutte, et il est l’auteur de ces deux mordantes satires : le Baron de Fæneste et la Confession de Sancy. Il se fait craindre à la cour par ses bons mots, qui sont souvent de gros mots : sa verve franche et libre ne connaît point les ménagements ni les fausses délicatesses. Nul donc n’était mieux préparé à réunir les tendances nouvelles de la poésie et à leur donner leur expression la plus complète et la plus parfaite.
Au reste, pour s’en convaincre, il suffit de recueillir ses propres déclarations, car il s’est parfaitement rendu compte de la signification de son œuvre et de sa nouveauté. Il déplore et condamne (cf. Misères, v. 55 ; et IV, 72, Princes, etc.) les poésies amoureuses et légères de sa « folle
- ↑ Voyez la Lettre à M. de Rohan sur la mort de son fils (I, 403) et la Lettre à Madame, sœur unique du Roy, sur la douceur des afflictions (I, 531) : ce sont les lettres d’un véritable directeur de conscience.
- ↑ Notamment le De dissidiis Patrum, aujourd’hui perdu, et les Méditations sur les Pseaumes.