Les études grecques n’ont pas eu non plus, semble-t-il, d’influence réelle sur la formation de son génie poétique. Certes il savait le grec. Il nous affirme même (I, 6, Vie) qu’à sept ans et demi il traduisit « le Crito de Platon », et s’il est bon de noter qu’il ajoute que ce fut « avec quelque aide des leçons » de son précepteur, il n’en faut point conclure qu’il ne savait le grec que fort médiocrement. Mais ce qui est incontestable, — et ce qui seul importe —, c’est qu’il ne l’a jamais étudié qu’avec une certaine répugnance. Les études supplémentaires de grec que son curateur l’envoya faire à Genève, comme il avait déjà treize ans, lui furent tellement « à charge » qu’il finit par s’enfuir à Lyon (I, 13, Vie) ; et il avoue que s’il n’avait tenu à complaire à Loyse Sarrazin, la docte fille du syndic chez lequel il était logé à Genève, il aurait été « entièrement destourné de la (langue) grecque » (I, 448, Lettres), Comme nous sommes loin de ces studieux élèves du collège de Coqueret qui, au témoignage de Binet, passaient leurs nuits à lire Homère et Pindare ! Génie réaliste et tourmenté, d’Aubigné ne pouvait guère comprendre l’idéal serein et pur de la poésie grecque ; et c’est pour la même raison qu’il doit si peu à ceux des poètes latins qu’avaient chéris la Pléiade, à peine quelques vers, empreints d’une douce mélancolie, où l’on reconnaît un souvenir de Virgile.
En revanche, il est tout imprégné des auteurs latins du 1er siècle, chez qui le génie romain s’accuse avec le plus de force. Lucain et Sénèque, Tacite et Juvénal, voilà ses véritables maîtres. L’époque où ils avaient vécu paraissait à d’Aubigné très comparable, par ses tristesses et ses hontes, à celle où il vivait lui-même, et il trouvait chez eux certaines tendances, certaines aspirations analogues à celles des hommes de son temps : le souci des misères de l’heure présente, le besoin d’enseigner et de moraliser, l’amour ardent de la satire militante. Dans les Tragiques, il aimera à développer les lieux communs de cette morale stoïcienne dont l’esprit semble avoir passé dans la morale protestante (cf. IV, 175, Feux), Ou bien il se plaira à identifier Néron avec le pape, cet autre Antéchrist (cf. Misères, v. 1215), et à confondre dans sa haine la Rome des Césars et celle des Pontifes. C’est ainsi encore que ses virulentes peintures