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Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/32

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INTRODUCTION.

Lorsqu’une comparaison lui plaît, il lui arrive de la répéter plusieurs fois de suite sous des formes différentes (cf. Miseres, v. 609) ou de la poursuivre dans les moindres détails avec un soin puéril (cf. Miseres, v. 135). Parfois même il en accumule plusieurs, à propos d’un même objet : c’est ainsi que, dans le premier livre, il compare successivement la France à une mère dont les deux enfants s’entre-déchirent, à un géant hydropique et à un vaisseau qui sombre ; et plus loin il la compare encore à un mourant. Si par le caractère oratoire et sentencieux de sa poésie d’Aubigné peut, dans une certaine mesure, être considéré comme un précurseur des poètes du dix-septième siècle, il lui a manqué, pour être véritablement le premier de la lignée glorieuse, une qualité ou plutôt un sens qui naissait alors dans les salons et que Malherbe introduisait déjà dans la poésie : le goût.

III

Cependant, la grande originalité de d’Aubigné n’est pas encore dans ces traits qu’il doit à ses maîtres latins, et il nous reste à mettre en lumière l’élément le plus caractéristique, et, par rapport à la poésie de la Pléiade, le plus nouveau de sa poésie : l’inspiration biblique. Sa religion lui faisait un devoir et son goût de la controverse une nécessité de lire sans cesse la Bible ; aussi la connaissait-il admirablement. Dans sa vieillesse surtout, il en fait le sujet de ses méditations quotidiennes (cf. I, 473, Lettres). C’est ce qui explique que sa poésie soit toute remplie de souvenirs et d’images bibliques. Dans les premiers livres mêmes, où l’inspiration est moins constamment religieuse que dans les derniers, on est surpris du nombre des réminiscences de la Bible qu’une étude attentive découvre : c’est ainsi que la grande prière qui termine les Misères ne renferme pour ainsi dire pas un vers qui ne soit inspiré d’un texte sacré. D’Aubigné identifie sans cesse les personnages contemporains avec ceux de l’histoire sainte, comme avec ceux de l’époque impériale : Catherine de Médicis est pour lui une Jézabel « altérée de sang » et le cardinal de Lorraine un Achitophel, tandis que Jeanne