Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/62

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145La masse dégénère en la melancholie. [1]
Ce vieil corps tout infect, plein de sa discrasie, [2]
Hydropique, fait l'eau, si bien que ce geant,
Qui alloit de ses nerfs ses voisins outrageant, [3]
Aussi foible que grand n’enfle plus que son ventre :
150Ce ventre dans lequel tout se tire, tout entre,
Ce faux dispensateur des communs excremens [4]
N’envoye plus aux bords les justes alimens ; [5]
Des jambes et des bras les os sont sans moelle ;
Il ne va plus en haut pour nourrir la cervelle
155Qu’un chime venimeux dont le cerveau nourri [6]



152. N’envoie plus au loin A.

  1. 145. Masse, la masse du sang, c-à-d. le sang, considéré comme le mélange des quatre humeurs. Cf. IV, 85, Princes : « Lors que l'amas de tant de maladies Tient la masse du sang. » Hist. univ., I, 251 : "Le sang du roi corrompu en toute sa masse." Du Bartas, 1re Sem.,éd. 1611, p.45 :
    En la masse du sang cette bourbeuse lie
    Qui s’espaissit au fond, c’est la melancholie.
  2. 146. Discrasie, de δυσχρασία, mauvais mélange des humeurs.
  3. 148. Nerfs. Sur les nerfs considérés comme l’organe de la force corporelle (cf. le latin nervi), cf. III, 415, Créat. :
    Les nerfs fors
    Qui tienent royde et fort et font mouvoir ce corps.
  4. 151. Faux dispensateur. Entendez : qui réserve pour lui seul, contrairement aux lois normales (faux), la nourriture qui devrait revenir également (communs) à tout l’organisme. — Excremens, ce qui sort de, ce qui résulte de, résultat, produit (d’une élaboration). C’est la nourriture élaborée, les quatre humeurs constitutives du sang qui doivent être réparties dans tout le corps. Pour ce sens de excrément, cf. III, 98, Print. :
    L’autre cherche la cause aux divers excremens
    Des pluies, des métaux, des plantes et des sources.
  5. 152. N’envoye. Compte pour trois syllabes. Sur cette terminaison oye et autres analogues (oue, ue, etc.), qui jusqu’au commencement du dix-septième siècle ont paru susceptibles d’être employées comme dissyllabes dans l'intérieur du vers, cf. Tobler, Le vers français, trad. Breul et Sudre, p.48. Voir v.339, 421, 712, 724, 832, 922, 929, 932, 1265, 1283, 1345.
  6. 155. Chime. D’Aubigné ne fait aucune distinction entre le chyme et le chyle. — Selon les connaissances du temps, la partie la plus solide du chyle se rend dans le foie, où elle forme le sang (cf. v.142, note). Le chyle émet aussi des vapeurs, dont la part la plus subtile s’échappe par le nez, la bouche ou la peau ; mais une partie plus humide s’élève par la gorge dans les ventricules du cerveau qu’elle nourrit. Cf. le Commentaire de Simon