Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Du meurtrier de soi-mesme, aux autres invincible, [1]
135Je pense encores voir un monstreux geant
Qui va de braves mots les hauts Cieux outrageant, [2]
Superbe, florissant, si brave qu’il ne treuve
Nul qui de sa valeur entreprenne la preuve ;
Mais lors qu’il ne peut rien rencontrer au dehors
140Qui de ses bras nerveux endure les efforts,
Son corps est combatu à soi-mesme contraire, [3]
Le sang pur ha le moins : le flegme et la colere [4]
Rendent le sang non sang ; le peuple abbat ses loix :
Tous nobles et tous Rois, sans nobles et sans Rois. [5]



137. Qu’il se treuve T. Le copiste avait d’abord écrit : qu’il ne se treuve ; puis trouvant le vers faux, il a barré ne, au hasard. || 142.De sang pur a le moins A. || 143.Rend le sang non plus sang T. Le copiste avait d’abord écrit par erreur : rend le sang non sang ; et c’est pour rectifier le vers qu’il a ajouté plus en surcharge.

  1. 134. Cf. Ronsard, Discours, éd. Mart.-L., V, 332 :
    Lequel [le Français] n’ayant trouvé qui par armes le donte,
    De son propre couteau soy-même se surmonte.
  2. 136. Va..... outrageant. Sur cet emploi, fréquent au seizième siècle,
    d’aller comme auxiliaire, cf. Darm. et Hatzf., p.265. Voir v. 148, 308, 460, 938, et Schüth, p.22 et 54. Vaugelas (I,313) condamne cet emploi. — Braves, superbes, hautains. Cf. IV, 25, Préf. des Trag. :
    Et là où l’œil est contenté
    Des braves et somptueux vices.
    L’œil de l’ame y est tourmenté.
  3. 141. Cf. IV, 222, Fers. :
    Sa propre ame lui nuit :
    Elle mesme se craint, elle d’elle s’enfuit.
  4. 142. D’Aubigné, qui a complaisamment étalé ses connaissances physiologiques dans la Création (ch. XI, sqq.), aime à en faire parade dans tous ses ouvrages. Cf. I, 437, Lettres ; II, 120, Médit. ; IV, 283, Jug. Selon l’ancienne médecine, le sang est formé par le mélange de quatre humeurs provenant de la décomposition du chyle dans le foie : ce sont le sang pur, le flegme, la colere et la melancholie. Lorsque ces quatre humeurs cessent d’être en proportion normale, le sang n’est plus sang. Cf. Rabelais, Pantagr., III, 4. — Ha le moins, est dans la proportion la plus faible. Construisez :
    (ce qu’)il a le moins, (c’est) le sang pur. A l’appui de cette interprétation, cf. la variante de l’édition princeps : de sang pur ha le moins.
  5. 144. Sur les opinions politiques de d'Aubigné, cf. v.197 et note. — Remarquez le mélange intime des deux termes de la comparaison. Cf. un procédé analogue, v.580, 605, 625, 655.