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AGRIPPA D'AUBIGNÉ

Louche, pasle ou flambant, peste, famine ou guerre. »[1]
715 A ces trois s’aprestoyent ces deux astres nouveaux.[2]
Le peuple voyoit bien ces cramoisis flambeaux.
Mais ne les peut juger d’une pareille sorte.
Ces deux esprits meurtriers de la France mi-morte
Nasquirent en nos temps ; les astres mutinez
720Les tirèrent d’Enfer, puis ils furent donnez
A deux corps vicieux ; et l’amas de ces vices
Trouva l’organe prompt à leurs mauvais offices.
   Voici les deux flambeaux et les deux instruments[3]
Des playes de la France et de tous ses tourments :
725Une fatale femme, un Cardinal qui d’elle,[4]
Parangon de mal-heur, suivoit l’ame cruelle.
   Mal-heur, ce dit le Sage, au peuple dont les loix[5]


715. Moins furent apprentifs ces deux A. || 724. Des fureurs de la France A. || 726. Du malheur A.

  1. 714. Louche. obscur. Cf. II, 194, Médit. : « Je sçai que mes péchés ont fait un gros et louche nuage entre toi et moi. » Ce mot n’ost plus guère pris dans ce sens qu’au figuré : une conduite louche.
  2. 715. A ces trois. Sous-en tendez : fléaux, calamités. Cf. une omission analogue du substantif, v. 427 ; et IV, 339, Sonn. épigr. :
                           La loy, le sang, Nature à l’homme font sentir
                           Qu’il naist, vit, croist et doibt ses ans, son bien, sa vie
                           Aux amis, aux parents, a la chere Patrie.
                           Et qu’il faut pour ces trois naistre, vivre et mourir.
  3. 723. Flambeaux. D’Aubigné joue ici sur le double sens du mot flambeau qui signifie à la fois comète (cf. v. 716 et IV, 230, Fers) et torche enflammée et dévastatrice, comme IV, 249, Veng. :
                           Flambeau de ton pays, piege de la noblesse,
                           Peste des braves coeurs, qui servit ta finesse… ?
  4. 725. Une fatale femme, Catherine de Médicis. — Un cardinal. Charlos, cardinal de Lorraine (1524-1574).
  5. 727. Malheur… au peuple… La même exclamation se retrouve, presque dans les mêmes termes, IV, 90, Princes :
                           O quel malheur du Ciel, vengeance du destin.
                           Donne des Rois enfans et qui mangent matin !

    Voir aussi Baïf, éd. Marty-L., V, 115 :

                           Bien malheureuse est la patrie,
                           Qui par un enfant est régie,
                           Où les Princes mangent matin !

    C’est un souvenir de la Bible, Eccl., X, 16-18 : « Malheur à toi, pays dont
    le roi est un enfant et dont les princes mangent dès le matin ! Heureux toi,