plusieurs personnages, qui ont connu longtemps la vogue et n’ont été remplacées qu’à la fin du xixe siècle par le monologue, qui en est une réduction à l’usage des salons. Aucassin et Nicolette apparaît ainsi comme un spécimen, le plus ancien que nous possédions, et aussi le plus précieux, d’une forme de théâtre que l’on rencontre à toutes les époques de notre littérature, où s’essayait tour à tour les plus grands artistes et les plus humbles bateleurs, et qui mériterait d’être étudiée dans son ensemble.
Il reste à coup sur possible de se figurer la chantefable exécutée par plusieurs acteurs à la fois[1] : le chanteur peut être différent du diseur, la mélodie peut être accompagnée par un ou plusieurs musiciens à côté des acteurs, dans les dialogues les répliques pourraient à la rigueur se répartir parfois entre deux ou trois acteurs[2], on pourrait enfin concevoir que telles parties du récit, où il est question de Nicolette, fussent dites par une femme, telles autres, consacrées à Aucassin, par un homme, etc. Mais rien de cela n’est nécessaire : un seul acteur peut suffire à l’exécution complète ; et il n’y a aucun argument à tirer pour le nombre des acteurs de l’indication qui précède les morceaux en prose[3], Or dient et content et fabloient : le pluriel a ici une valeur d’indéfini, comme le réfléchi dans l’indication Or se cante des laisses chantées ; si l’auteur a préféré pour les morceaux en prose le pluriel au réfléchi, c’est qu’il pouvait bien dire Or se dit, comme Or se cante, mais non pas Or se fabloie[4].
- ↑ G. Paris, o. c., 99 et 102 ; W. Meyer-Lübke. La longueur de la pièce tend assez vraisemblable l’hypothèse que le chanteur était différent du diseur ; cela aurait ménagé à l’un et à l’autre des repos nécessaires, et peut-être s’expliquerait-on ainsi l’alternance de morceaux dits et de laisses chantées. — Une dernière hypothèse est possible, mais indémontrable : la pièce serait un jeu de marionnettes.
- ↑ Mais qu’auraient fait en scène les acteurs obligés de rester muets pendant les récits, ou qui ne se seraient avancés que pour prononcer une ou deux répliques, par exemple : la mère d’Aucassin (II–III), le comte Borgart (X), Aucassin (XV–XVI), le roi de Carthage (XXXVII–VII) ?
- ↑ Cf. G. Paris, o. c., 100.
- ↑ Je ne pense pas que l’accumulation des verbes dire, conter, fabloier