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ce que l’orateur allait faire. L’orateur, lui, paraissait ne s’apercevoir de rien. Il commença son discours avec assurance, et, dans un exorde insinuant, il ne manqua pas d’adresser des louanges à la bonne population de La Baie-du-Febvre. Mais il n’avait parlé que deux ou trois minutes, quand le jeune homme dont nous avons parlé pressa la gorge de son veau ; celui-ci fit entendre un ouai-ai formidable. Tout l’auditoire éclata de rire, puis on attendit dans le silence la semonce que l’orateur allait adresser au jeune homme. Ô surprise ! l’orateur, sans perdre le fil de son discours, continua à développer son sujet avec conviction et avec ardeur.

« Une deuxième et une troisième fois le veau fit entendre son gémissement lugubre, mais ce fut encore la même chose : une courte interruption, puis le discours continua comme de plus belle.

« Une quatrième fois le jeune homme pressa la gorge de son veau, mais avec encore plus de force, et la pauvre bête jeta un ouai-ai plus effroyable que jamais. On rit un peu, puis il se fit un grand silence. Monsieur Turcotte, alors désignant du doigt le jeune homme, lui dit avec un accent de profonde pitié : « Jeune homme, voulez-vous bien cesser de faire souffrir votre pauvre petit frère. » C’était bien la réponse la plus inattendue dans la circonstance. Il y eut un moment de silence causé par la surprise, puis une masse de voix cria au jeune homme : « Va-t-en avec ton veau, va-t’en avec ton veau : t’as manqué ton coup, t’as manqué ton coup ! »

« Quatre hommes forts accostèrent le jeune homme et l’obligèrent de déguerpir au plus vite. Monsieur Turcotte avait conquis tous les auditeurs, de quelque parti qu’ils fussent. Ils se massèrent tous autour de la tribune, et il leur adressa un long et vigoureux discours, qui fut écouté avec respect et chaleureusement applaudi ».

Trifluvien jusqu’à la moelle des os, M. Turcotte s’intéressait non seulement au progrès de la ville des Trois-Rivières, mais aussi à celui de toute la Mauricie. Il fut l’un des fondateurs et des premiers directeurs de la Compagnie des Forges Radnor fondée en 1854. Quelque quatre ans plus tard, M. Turcotte fit des démarches pour relier Shawinigan aux Trois-Rivières par un chemin de fer, mais le temps n’était pas encore venu pour cette amélioration pourtant si nécessaire au développement de la vallée. Il avait eu le malheur de naître trop tôt. S’il lui était