Page:Audiat - Bernard Palissy : étude sur sa vie et ses travaux.djvu/86

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en mille morceaux ? De ce jour il n’eut plus de repos ; il entra en dispute avec sa propre pensée (page 311). C’est dans son traité de l’Art de terre qu’il faut lire le récit pathétique de ses tribulations, de ses craintes et de ses espoirs, de ses déchirements, de ses luttes avec la nature, avec ses voisins, avec sa famille. Qui n’a été ému de compassion pour les infortunes de l’artiste, et saisi d’admiration pour son opiniâtreté ? Pour moi, je m’étonne que dans ces recueils destinés aux élèves de nos collèges, et nommés, mal à propos si souvent, Morceaux choisis, nul éditeur n’ait songé à placer près de Ronsard et de Marot, entre Montaigne et Agrippa d’Aubigné, cette page étonnante du potier saintongeois, une des bonnes pages de la littérature française. Je ne lui connais de comparable que ce passage où Théodore Jouffroy a peint la soirée de décembre dans laquelle il découvrit que la foi s’était éteinte en lui, et qu’il était devenu sceptique. C’est la même émotion et la même angoisse.

Nous sommes en 1545 ou 1550 dans la capitale des Santons, ce Mediolanum Santonum dont le passé n’est pas certes sans gloire. La ville est un peu comme elle est maintenant, tortueuse mais elle a encore sa forte ceinture de murailles qui l’enserrent et que la population, depuis, a brisée, comme sur ses coteaux, à l’approche du printemps, le bourgeon de la vigne qui veut sortir fait éclater « son corset vert. » Saint-Pierre élève encore son énorme môle tronqué ; peut-être même a-t-il déjà sa peu gracieuse calotte de plomb. À Sainte-Marie, chantent les bénédictines dans cette magnifique église romane, où ont henni