Page:Audiat - Un poète abbé, Jacques Delille, 1738-1813.djvu/52

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Sans rancune, il se vengeait avec de l’esprit, quelquefois par un calembour.

Le jour de la première fédération, par une chaleur accablante, il se promenait avec des dames : « Ah ! si quelque bonne fée pouvait nous envoyer des rafraîchissements ! » — « Madame, reprit l’abbé, adressez-vous à la fée des rations »

Cependant il prit le parti de s’éloigner. C’était après thermidor. N’avait-il plus peur de passer pour émigré ? Le 1er novembre 1794 (II brumaire an III), il écrivait encore de Paris « au citoyen Fromy-Beaupré à Dampierre, à deux lieues de Saint-Jean-d’Angely », ce billet peu compromettant : « Le citoyen Delille fait mille compliments au citoyen Fromy. L’extrait qu’il lui a envoyé n’étant pas en forme, il le prie de le lui renvoyer avec les changements indiqués ci-dessous. Il n’ose se plaindre de n’avoir reçu aucune de ses nouvelles ; il le prie toutefois de présenter ses hommages à toute sa famille. »

Où alla-t-il ? Dans les Vosges, à Saint-Dié, patrie de sa femme, — non de sa mère, comme on l’a écrit. — Il y acheva sa traduction de l’Énéide dont il avait lu des passages à Voltaire. Dans le Monsieur du 23 juin 1809, il en annonça une nouvelle édition par Firmin Didot. Elle ne vaut pas ses Géorgiques. Le genre était différent. L’inconvénient de la traduction — un parfum qui se transvase — était ici plus frappant  : il ne s’agissait plus de décrire les travaux des champs ou les mœurs des abeilles, ou l’aventure d’Aristé et les malheurs d’Eurydice, mais de chanter les exploits des guerriers, et l’abbé Delille n’avait point l’âme héroïque ; il ne s’enthousiasmait qu’à l’ardeur d’autrui ; son talent n’était pas fait pour l’épopée. On lui a reproché des longueurs, des inexactitudes, des épithètes parasites, des paraphrases. Pourtant, dit Pongerville, « entraîné par la grâce facile, l’harmonie, le coloris des vers, on parcourt cet ouvrage avec admiration pour Virgile et reconnaissance pour son interprète ». Il dédia cet ouvrage à l’empereur Alexandre. On lui attribua encore une traduction des Bucoliques. Tout Virgile y eût passé : il s’en était occupé et l’ouvrage devait paraître avec d’autres compositions qu’il avait en portefeuille, assurait-il, en 1809.