Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/109

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parfumé à toutes les fleurs, et, devenu roi à son tour pour un temps, il a chassé les giboulées et les gelées blanches et régné en maître sur la montagne, sur la plaine et sur les coteaux.

Sur moi aussi il a régné en maître, courbant ma volonté à ses caprices. Toutes les forces que j’avais acquises pendant l’hiver viennent de s’enfuir avec cette fin de mai. Et hier, au moment du baiser fraternel, sans que je le veuille et sans que je puisse m’en empêcher mes deux mains se sont appuyées aux épaules de Valère Chatellier, et ma bouche est allée au devant de la sienne. Il s’est dégagé avant que mes lèvres ne l’eussent touché, et une lourde honte me fit plier le buste.

Aussitôt Firmin me prit le bras en disant d’une voix forte :

— Mais tu l’aimes !

J’osais regarder Valère Chatellier. Il fixait sur moi le regard aigu d’autrefois, et ses yeux paraissaient phosphorescents dans son visage devenu trop blanc.

Firmin comme transporté répétait :

— Tu l’aimes ! Annette, je te dis que tu l’aimes ! Sans cela…

Devant mon silence il me secoua tout frémissant :

— Sois donc franche, dis-le donc que tu l’aimes !

Je ne pouvais pas le dire, et je fis oui de la tête, mais, oh ! que j’étais lasse ! Il me fallait m’asseoir tout de suite. Et presque défaillante, je me laissai tomber sur l’herbe du chemin.

Le silence fut notre ami pendant de longues minutes.