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Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/123

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— Oui, sa femme, ai-je commis un crime ?

Oncle meunier ne songeait pas à frapper, il abaissa son poing, s’assit rudement par terre, et la tête dans ses mains il eut un accent plein de détresse :

— Annette ! ma grande Annette ! toi que je croyais si pure et si courageuse.

Humiliée je courbais le front.

Il m’attira et m’obligea de m’asseoir à terre auprès de lui :

— Pardon Annette, pardon ma grande fille, disait-il.

Et doucement il lissa mes cheveux.

La voix plus ferme il reprit :

— Je n’ai guère le droit de t’adresser des reproches.

Et rapidement, comme s’il se débarrassait d’un fardeau pénible, il m’apprit que tante Rude et lui s’étaient unis bien avant leur mariage. Tante Rude, fille de fermiers aisés n’avait pas manqué de prétendants plus riches et aussi bien tournés qu’oncle meunier, mais c’était lui qu’elle avait choisi, lui imposant son amour un soir comme Valère Chatellier m’avait imposé le sien. Il rêvait alors d’une compagne douce et faible, et le caractère autoritaire de tante Rude, son incompréhension des êtres, l’avait tout de suite choqué comme une tare physique. Cependant, lorsqu’elle avait annoncé à tous leur prochain mariage, il ne l’avait pas désavouée comprenant qu’il n’échapperait jamais plus à cet amour que son cœur avait fini par accepter.

Lorsqu’il cessa de parler, un mélange de honte et de résignation me fit dire :

— Oh ! oncle, pourquoi sommes-nous faits ainsi ?