Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/138

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pas dire l’étrange malaise que j’en garde. Mon Annette, je sens bien que si je te perdais je serais perdu aussi. Le bonheur que tu me donnes je le cache, et seuls les sages peuvent en voir l’éclat dans mes yeux.

« Je fais mon cœur large et doux, afin que tu puisses t’y reposer à l’aise. »

« Ton Valère. »

Je m’assieds et mes larmes coulent, mais Rapide sait bien que ce sont-là des larmes pour rire, il les lèche et il saute, il lèche la lettre et bondit joyeusement au dehors où il aboie le nez au vent, comme pour remercier celui qui est loin et qu’il aime de tout son cœur de chien fidèle.


La maison de commerce d’ici est vendue, et le beau magasin de Nice ouvrira ses portes dès que les menuisiers et les peintres en seront sortis. En attendant, Valère a décidé que nous passerions cette dernière quinzaine d’août au bord de la mer, sur une petite plage de la Vendée.

Firmin vient d’arriver pour profiter de nos vacances, et aussi, dit-il, pour nous confier son secret d’amour. C’est la première fois que nous le voyons vêtu en militaire. Jusqu’alors il a partagé ses permissions entre son père et sa mère.

Il n’a guère changé ; son corps est resté mince et droit et la caserne ne lui a rien pris de sa gaîté moqueuse. Il tourne sur lui-même comme une toupie bien lancée pour nous faire admirer son costume de sergent :

— Voyez comme je suis beau !