Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/161

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où nulle ombre ne peut l’atteindre, et son pied est entouré de grosses pierres, comme pour empêcher de venir jusqu’à lui l’herbe et les fleurs qui poussent tout alentour. Cette plante faite de larges mains pleines de piquants me fait un peu peur. Charnue et vigoureuse elle me fait penser à une bête étrange que quelqu’un nourrirait en cachette avec de la viande fraîche.

Je me moque de moi-même quand cette idée ne vient, car l’herbe haute n’est foulée de nulle part dans le voisinage, et jamais encore je n’ai aperçu la Crapaude de ce côté. Il y a quelques jours, comme le cactus paraissait avoir soif sous le soleil, je m’en suis approchée malgré ma répugnance afin de verser un peu d’eau à son pied. Mais, à la première pierre que je voulus déplacer, une vipère s’est dressée. Elle n’a pas cherché à me mordre, elle s’est seulement enroulée rapidement sur la pierre que je venais de toucher, et, la tête haute, elle m’a regardée avec des yeux si haineux, que j’en ai ressenti un frémissement par tout le corps. J’ai remporté mon arrosoir, marchant de biais, afin de ne pas perdre de vue la vipère et son cactus aux mains méchantes.

Ma jeune voisine n’a pas cru à la vipère. « Tout au plus, une couleuvre » m’a-t-elle dit en riant ; mais elle craint les pierres du cactus car elle sait que le mari de la Crapaude y a trouvé la mort, un jour que, pris de vin, il s’y était endormi en plein midi.

« Par les jours d’été, m’a-t-elle dit, ces pierres sont plus chaudes que si elles sortaient de l’enfer. »

Le vieil olivier étend ses fortes branches sur