Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/191

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cette mauvaise fièvre, elle accomplirait peut-être un miracle. »

Je sais encore quand il est quatre heures du matin. Une horloge sonne quelque part et je vois les sons aussi clairement que je les entends. C’est pour moi quatre boules d’or lancées dans l’espace et qui se heurtent en se rencontrant. À quatre heures du matin je prends conscience de mon état. Je sais que je suis très malade, je sais que je suis seule dans une chambre avec mon enfant dont la plainte cesse seulement lorsque l’infirmière se penche sur le berceau avec un biberon. Je le vois ce biberon. C’est une toute petite fiole qui n’est qu’à demi-pleine. Je voudrais parler à cette infirmière, mais elle s’éloigne toujours avant que j’aie réussi à fixer les mots qui tournoient dans ma tête. L’autre nuit, après son départ, une grande force m’est venue ; je me suis levée, et, avec des précautions infinies, j’ai pris mon petit et l’ai couché à côté de moi, il s’est apaise tout de suite sous mes caresses.

Oh ! chères menottes, plus douces et plus soyeuses à mes lèvres que les plus douces et les plus soyeuses des fleurs. Et vous beaux yeux, qui parliez si clairement aux miens qu’il n’était pas besoin de paroles pour vous comprendre. Je souriais à mon enfant. Ma pensée lui parlait de ma guérison proche, et il m’écoutait. Ma pensée lui annonçait mille choses à venir, et il me regardait. Longtemps il m’a écoutée et regardée, puis, sous mes baisers, ses fines paupières se sont fermées et il s’est endormi.

L’infirmière nous a surpris ainsi, elle a levé les bras avec épouvante :

— Oh ! malheureuse !