Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/240

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ler l’écho des douleurs passées. Le soir, en rentrant de la buanderie, je m’assieds à ma place habituelle et, aussitôt, ceux qui sont partis à jamais se groupent dans mon souvenir. C’est toujours le visage de Nicolas qui m’apparaît le premier, un visage de tout jeune homme, si étonné d’être obligé de s’en aller mourir loin du moulin. C’est ensuite le regard d’oncle meunier qui me dit clairement : « Valère peut revenir ».

Je ne crois pas au retour de Valère. La guerre finie, me souvenant « qu’on a toujours le temps de pleurer et qu’il faut agir d’abord » j’ai entrepris à Nice des recherches qui n’ont pas plus abouti que celles d’oncle meunier pendant la guerre. « Valère est perdu, perdu pour toujours. »

C’est cela que je me répète sans cesse. Mais Firmin avait raison lorsqu’il disait que les disparus laissent au moins l’espoir de les revoir. Cet espoir je le garde sans vouloir me l’avouer à moi-même. La nuit, je m’éveille en sursaut, croyant entendre un pas monter l’escalier et s’approcher de ma porte.

Toujours j’y regarde sous cette porte. Hier, apercevant quelque chose de blanc je me suis baissée espérant que c’était une lettre. J’avais bien vu pourtant que ce n’était qu’un tout petit bout de chiffon.

« Valère est perdu. »

Malgré cela, de loin comme de près, tous les hommes de haute taille retiennent mon attention. Même ce vieillard malade que je vois passer depuis quelque temps au bras d’une jeune femme qui le soutient.

Valère, dans sa vieillesse, aura certainement