Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/84

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étaient graves et sans fraîcheur. Souvent après nos récits il nous disait avec un peu d’envie :

— Comme vous êtes riches tous deux !

Lorsque j’étais seule avec Valère Chatellier, je me sentais parfaitement à l’aise, et ne songeais pas à faire des remarques sur sa personne. Mais dès que Firmin s’approchait avec ses cheveux en révolte et son teint frais, les cheveux plats et le teint sans couleur de son ami me faisaient me moquer à part moi. Je n’aimais pas non plus sa façon de marcher, comparée à l’espèce de danse qui rendait Firmin si attrayant et si léger.

Comme s’il m’eût devinée, Valère Chatellier semblait parfois pris de défiance à mon égard. Son teint maladif se colorait, et il lançait sur moi des regards si aigus que je sentais mon front s’ouvrir et toutes mes pensées s’envoler.

Oncle meunier nous accompagnait rarement dans nos promenades, mais il ne manquait jamais de venir au devant de nous à la tombée du jour. Il aimait ces fins de dimanches où les routes s’encombraient de gens avec lesquels il échangeait deux mots en passant. Il aimait encore ramener sur son épaule la petite Reine qui babillait et chantait comme un oiseau perché.

Après souper il revenait prendre le frais devant notre porte et il s’asseyait auprès de Valère Chatellier avec lequel il parlait d’affaires ou de politique. Tante Rude se plaisait comme lui à ces soirées quoiqu’elle n’eût personne à morigéner. Elle trouvait juste tout ce que disait Valère Chatellier, et elle était comme intimidée par sa parole sûre et bien posée.