Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/93

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aime-le comme un frère, et donne-lui le même baiser qu’à moi.

Je mis un baiser sur la joue de Valère Chatellier et il me rendit le pareil, mais au lieu de laisser aller il retint ma tête qu’il appuya sur sa poitrine. Ainsi retenue j’entendais battre son cœur. Il battait clairement, à coups forts et réguliers, et c’était comme s’il m’eût dit : « N’aie crainte ». J’entendais aussi une sorte de grondement comme une colère qui cherchait à se faire jour dans la gorge de Valère Chatellier. Pourtant son souffle sur mon front était doux comme une caresse, et la chaleur de sa main sur ma nuque me donnait l’envie de rester longtemps appuyée contre cette poitrine, tout à la fois grondante et rassurante.

Je m’en éloignai cependant, mais j’en ressentis dans toute ma chair comme un immense regret.

Ce soir-là, je compris que la force naturelle dont m’avait parlé oncle meunier était une force redoutable entre toutes, et que pour lutter contre elle et la vaincre il me faudrait un grand courage.