Page:Audoux - Douce Lumiere.djvu/23

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Elle se laissa entraîner dans la ronde, mais il lui fut impossible de sauter. Ses jambes étaient devenues aussi lourdes que sa tête, dans laquelle la voix triste et dure de son grand-père redisait sans cesse : « Au frais matin les coqs ont chanté sa naissance, et, au soir tombant, la cloche de l’église a sonné le glas pour son père et sa mère. » Ses compagnes la tiraient et la poussaient en se moquant de sa maladresse. Elle n’y était pas sensible. Un étonnement sans bornes était en elle. Ainsi, comme son ami Noël et les autres enfants, elle avait eu un père et une mère, et pour eux le glas avait sonné, comme il sonnait pour tous ceux qui mouraient au village.

La classe finie, sur la route du retour, où elle traînait les pieds presque autant que son grand-père, elle comprenait bien que, pas plus que lui, elle n’oublierait la date du trois mai avec son frais matin et son soir tombant.

Octobre était bien près de finir lorsque Douce et Noël purent enfin se retrouver. Ce jeudi-là n’avait pas un clair matin ; au contraire, le ciel se cachait derrière un épais rideau gris d’où sortait une pluie si fine qu’on avait peine à y croire. Tard dans la matinée, le père Lumière passa le seuil, et