Page:Audoux - La Fiancee.djvu/18

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doutait plus de sa solidité. Tout au fond de l’eau, à travers les cailloux, on apercevait ses fortes racines dont quelques-unes montraient un dos noir et renflé qui faisait penser à de grosses anguilles dormant bien tranquillement sous les rayons du soleil. Ainsi courbé, comme jeté en avant, on eût dit qu’il voulait s’éloigner du clos, et surtout qu’il cherchait à échapper au noisetier son voisin dont les branches l’abritaient des mauvais vents, mais dont les racines tortueuses se glissaient sournoisement jusqu’à lui comme pour le crocheter au pied et l’empêcher de fuir.

Les gamins du village ne se faisaient pas faute de lui rendre visite dès que les premières gelées venaient mûrir les fruits. Pour l’atteindre, ils n’avaient qu’à traverser la rivière peu haute à cet endroit, l’un d’eux grimpait et se mettait à cheval sur l’arbre courbé et avec de petites tapes sur ses branches il l’obligeait à donner son bien sans réserves. Le néflier paraissait le donner aussi sans regret, car à chaque petite tape, son bien tombait adroitement dans un tablier tendu, dans un panier d’écolier, ou même dans une casquette.