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MARIE-CLAIRE

Je ne demandais pas mieux que de soigner la pauvre bête ; mais quand je fus seule avec elle, une épouvante me prit.

Cette tête énorme qui se balançait sur ce petit corps me causait une frayeur insensée. Les yeux démesurés, la bouche immense et les oreilles qui se tenaient droites et raides, composaient un monstre difficile à imaginer. Il restait constamment au milieu de l’étable, comme s’il eût craint de se cogner au mur. J’essayai de m’approcher de lui, en me disant que ce n’était qu’un mouton. Mais aussitôt qu’il se tournait de mon côté, je filais comme une flèche vers la porte. Je ressentais cependant une grande pitié pour lui. Par instants il me semblait que cette face qui se balançait de droite à gauche me faisait des reproches. Alors quelque chose chavirait dans ma tête, et je sentais venir la folie. Je compris que j’étais capable de le laisser mourir de faim.

Je racontai cela au vacher, qui voulut bien se charger de soigner le mouton tant que durerait l’enflure. Il se moquait de moi : il ne comprenait pas comment je pouvais avoir si grand’peur d’un mouton malade.