Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/196

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Le 19 du même mois, je lui rendis donc ma dernière visite. Quand nous nous séparâmes, il me répéta, par trois fois : Dieu vous garde ! Dieu vous bénisse ! et il dut s’apercevoir de l’émotion que j’éprouvais, et qui se lisait dans mes yeux, bien que je fisse effort pour m’abstenir de parler.

Quelques semaines avant de mourir, cet admirateur enthousiaste de la nature vint, avec ses filles, me rendre visite à Londres. Il paraissait en aussi bonne santé que quand je l’avais vu à Newcastle. Notre entretien fut court, mais agréable ; et quand nous nous dîmes adieu, j’étais certes loin de penser que ce fût pour la dernière fois. Il en devait pourtant être ainsi, car très peu de temps après j’appris sa mort par les journaux.

Mon opinion sur cet homme remarquable, c’est qu’il était un vrai fils de la nature, et qu’à la nature seule il avait dû presque tout ce qui le caractérisait comme homme et comme artiste. Chaud dans ses affections, d’une sensibilité profonde, doué d’une imagination puissante et d’un esprit droit, pénétrant et observateur, il n’avait eu besoin que de peu de secours étrangers, pour devenir ce qu’il fut réellement : le premier graveur sur bois qu’ait produit l’Angleterre. Regardez ses vignettes, et dites-moi si vous avez jamais rien vu de si bien exprimé, de si vivant, depuis son glouton qui précède le grand goëland à manteau noir, jusqu’à ces enfants qui s’amusent à jouer au cerf-volant ? et que penser de son chasseur désappointé qui, pour tuer une pie, laisse échapper un coq de bruyère ; de son cheval cherchant à gagner l’eau, de son taureau beuglant