Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/506

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de bien loin, par-dessus les eaux gelées du Mississipi, je voyais venir successivement chaque troupe, de divers côtés, et s’abattre sur le fleuve, à l’opposé de notre camp. D’abord ils consacraient quelques instants à s’éplumer, puis s’étendaient tranquillement sur la glace ; et malgré l’ombre croissante, je pouvais encore suivre de l’œil la gracieuse courbe de leur cou, lorsque doucement ils le ramenaient en arrière, pour reposer leur tête sur le plus mollet et le plus chaud des oreillers. Alors, dans toute cette masse blanche comme neige, on n’apercevait plus rien qu’un point noir, à environ un demi-pouce de la base de leur mandibule inférieure, et qui se trouve placé là, je le suppose, pour rendre plus facile la respiration de l’oiseau. Je n’ai jamais remarqué qu’aucun d’eux fît sentinelle dans leurs rangs. Sans doute, ils s’en remettent à la subtilité de leur ouïe, pour les avertir de l’approche de l’ennemi. Cependant l’obscurité, devenue complète, empêchait de plus rien voir jusqu’au retour de l’aurore ; mais chaque fois que des bois voisins s’élevaient les hurlements de bandes de loups qui rôdaient dans les ténèbres, on entendait les clameurs sonores des Cygnes remplir les airs. Quand la matinée s’annonçait belle, toute la blanche troupe, se mettant debout, commençait par faire sa toilette ; puis, les ailes ouvertes, ils s’élançaient, comme pour se disputer le prix de la course ; et le sourd trépignement de leurs pieds sur la glace résonnait semblable aux roulements de gros tambours voilés qu’accompagnait le bruit de leur voix claire et perçante. Enfin, après avoir ainsi couru vingt mètres ou plus avec le vent, ils pre-