Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/59

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tude droite, continuant à couvrir chacun son œuf unique, espoir de l’un et de l’autre parents. Cependant, on entend les sourdes détonations de plusieurs mousquets ; les morts, les blessés, roulent pesamment sur le roc ou jusque dans l’eau ; et ceux qui survivent s’envolent épouvantés vers leurs compagnons et planent en désordre au-dessus de leurs assassins, qui, vociférant et jurant, s’élancent pour achever leur glorieuse victoire. Voyez-les broyer le poussin avec la coquille, écraser en riant les œufs sous leurs bottes puantes et grossières. Et quand la besogne est finie, quand ils quittent cette île, pas un œuf qui n’ait été détruit à plaisir. Les oiseaux morts sont mis en tas, ils les emportent et rentrent enfin dans leur hideuse chaloupe. Les guillemots, plumés en un tour de main et encore chauds, sont jetés sur des charbons, où ils grillent en quelques minutes. Quand on les juge suffisamment cuits, on apporte le rhum ; et après s’être bourrés de cette chair huileuse, à demi empoisonnés, et savourant les jouissances de cette digestion de brute, nos pirates tombent pêle-mêle sur le pont de leur bâtiment en ruine, pour y passer deux ou trois heures d’un lourd sommeil, ou plutôt d’un véritable cauchemar.

Déjà, vers l’est, le soleil brille sur le sommet neigeux de la montagne ; doux est le souffle du matin, même dans ces régions désolées ; le passereau redresse sa blanche crête et témoigne bruyamment sa joie en voltigeant autour de sa femelle qui couve ; du haut du rocher, la perdrix des saules fait retentir au loin son appel ; toute fleurette rouvre sa pure corolle qu’avait