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SAUCES

s’imposa l’économie, la sauce Espagnole devint la suppléante obligatoire des jus trop appauvris.

Elle y gagna du perfectionnement, mais son usage ne tarda pas à dépasser le but pour lequel elle avait été créée, et il n’est pas excessif d’avancer que, dans le dernier quart du dix-neuvième siècle, il atteignit un réel degré d’exagération. À son abus, on peut attribuer l’apparition de cette cuisine neutre, sans arôme bien défini, où toutes les notes de la gamme savorique se confondaient en une seule tonalité insipide.

Depuis quelques années, un énergique mouvement de réaction s’est produit contre cette uniformité savorique reprochée aux cuisiniers. Dans les grandes cuisines, les fonds de veau clairs, limpides, de saveur nette et franche, ont repris leur place, et l’Espagnole qui, de ce fait, a perdu la sienne, verra son importance décliner de plus en plus.

Quelle est, en effet, la raison d’être de cette grande sauce ! Le ton et la valeur savorique ne lui sont pas personnels, c’est le fonds employé qui les lui fournit ; c’est en lui que réside son mérite. L’auxiliaire du jus, le roux, n’apporte à celui-ci, en dehors de son principe de liaison, qu’une note savorique de peu d’importance, et il a l’inconvénient d’exiger, pour que la sauce soit parfaite, une élimination presque absolue de ses éléments. Seul, le principe amylacé demeure dans une sauce convenablement dépouillée. Or, si cet élément est absolument nécessaire pour donner le moelleux et le velouté à la sauce, il est beaucoup plus simple de le lui donner pur, ce qui permet de la mettre à point en aussi peu de temps que possible, et de lui éviter un séjour trop prolongé sur le feu. Il est donc infiniment probable que, avant longtemps, l’amidon, la fécule, ou l’arrow-root obtenus à l’état de pureté absolue, remplaceront la farine dans les roux.

Dans l’état actuel de la cuisine, l’emploi simultané de ces deux éléments : Espagnole et Jus lié, s’impose encore pour plusieurs raisons : Dans les grands braisés, dans les ragoûts (sauf ceux de mouton ou d’agneau), l’Espagnole associée à la tomate, et mise à point par les sucs nutritifs échappés de l’élément dont elle est le facteur de cuisson, est absolument dans son rôle. Sous forme de Demi-glace, elle servira encore de fonds indispensable à beaucoup de Sautés.

Mais les entrées délicates et légères de boucherie et de volaille ont tout à gagner à l’emploi du jus lié, surtout si son emploi raisonné s’appuie sur le déglaçage, au lieu de le supprimer, et si le