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lumière et de l’ombre, exactement comme fait l’architecte. En dernière analyse, c’est donc bien toujours de la lumière et de l’ombre que le sculpteur, comme l’architecte, pétrit et modèle. La sculpture n’est qu’une espèce dans le genre immense de l’architecture, et nous ne devrions jamais parler de celle-là qu’en la subordonnant à celle-ci.

Comment les « chefs-d’œuvre » sont « chefs-d’œuvre », je le sais, et que j’ai de joie à le savoir ! C’est exactement de même que les grandes âmes sont de grandes âmes. C’est en s’élevant à l’indispensable dans l’expression de leurs pensées et de leurs sentiments que l’homme et l’artiste s’accomplissent dignement. Un chef-d’œuvre est, de toute nécessité, une chose très simple, qui comporte seulement, répétons-le, l’essentiel. Tous les chefs-d’œuvre seraient tout naturellement accessibles à la foule si elle n’avait pas perdu l’esprit de simplicité. Mais, même à l’heure où les foules sont devenues incapables de comprendre, c’est pourtant avec le sentiment populaire, avec une « âme de foule » que l’artiste doit vivre pour pouvoir concevoir et créer le chef-d’œuvre. Il doit sentir avec la foule, ne fût-elle qu’idéalement présente, ce qu’il doit comprendre avec les maîtres. Et les maîtres aussi redeviennent « foule » pour reprendre par le cœur, par l’amour, ce qu’ils ont découvert par l’esprit.

L’architecture gothique, qui suppose la foule, qui est destinée à la foule, lui parle le grand langage simple des chefs-d’œuvre. Le monument conduit la lumière et l’ombre et les gouverne au moyen des plans selon lesquels il les reçoit. Lorsque l’un des deux plans opposés est dans la lumière, l’autre est dans l’ombre. Les deux plans, déjà vastes par eux-mêmes, s’agrandissent encore par l’opposition. L’antique s’exprime par des plans plus courts que les plans gothiques. Ceux-ci équivalent à d’épaisses profondeurs. Mais ces ombres profondes sont toujours douces, se maintiennent dans la demi-teinte, ce glissement de la lumière, cette amoureuse caresse du soleil.

Peu de noir. Le noir est un coup de force dont il semble que les œuvres destinées au plein air puissent se passer. Nos architectes modernes abusent du noir ; c’est pourquoi tout ce qu’ils font est si dur, si maigre, si pauvre. La Renaissance issue du Gothique n’use du noir que comme trait de force ; la demi-teinte est partout. De là, les biais des voussures, l’évasement des porches, la saillie des contreforts sur la face, et en général tous ces