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INTRODUCTION


PAR


CHARLES MORICE


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Le phénomène de l’oubli, dans l’histoire des collectivités comme dans celle des individus, est infiniment mystérieux.

Comment se peut-il qu’on oublie ? Les témoignages de la vie antérieure de notre cœur ou de notre esprit sont encore sous nos yeux, ils n’ont point changé, et nous ne les reconnaissons plus.

Comment oublie-t-on ? Lentement comme la poussière tombe, ou brusquement comme tombe la foudre ?

Le fait seul est certain, et il est encore plus désolant.

L’histoire, en nous permettant de suivre les transformations de la sensibilité et de l’intelligence générales, en nous invitant à constater qu’elles étaient inévitables et, partant, sans doute nécessaires, ne nous console pas. Et l’homme non plus, quand un accident de sa destinée ranime pour une minute au regard de son âme tel visage, qui fut, un long temps, la lumière de sa vie, qui fut sa vie même, n’accepte pas sans douleur l’évidence de sa propre infidélité, de cet oubli pire que la mort. La vie ne s’est pas arrêtée, mais elle s’est détournée ; ceux qui jadis n’eussent pas accepté l’idée de la séparation ont pu se rencontrer naguère et ne pas se reconnaître ; heureux encore si aucun des deux n’est injuste, ingrat envers le passé, et si l’amour n’a pas tourné en haine. — Sans se consoler de rien, on s’explique tout, en songeant que ces faiblesses de la mémoire et cette indépendance de la conscience sont essentielles aux recommencements nécessaires,