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Ces contreforts ont, dans le haut une petite niche où baigne une figure dans l’ombre.

Tous les plans sont en demi-teintes. La force est réservée au noir qui cerne, sans maigreur, les grandes figures.


Les lignes d’architecture sont les seules qui comptent dans les figures sculptées de Chartres. L’instinct des artistes de génie qui travaillaient dans cette Cathédrale les avait avertis que le corps humain se profile architecturalement, qu’il engendre l’architecture, pour mieux dire, au même titre que les arbres et les montagnes.


Comme les gestes de ces figures sont vrais, simples et grands ! Elles avancent la tête avec curiosité et soumission tout à la fois… Les gestes humains, libres, sont toujours beaux. Mais ceux de ces statues, répétés durant tant de siècles, ont pris je ne sais quel caractère sacré de majesté lente.

Et cependant… Il y a trente ans que j’ai vu pour la première fois le portail latéral de droite. — Que de changements ! Je ne retrouve plus cette souplesse, cette enveloppe délicieuse grâce à laquelle ces sculptures apparaissaient comme voilées d’un brouillard matinal qui laissait voir seulement les traits de force. Je ne retrouve plus l’atmosphère créée par les vrais artistes.

Hélas ! tout a disparu sous de successives restaurations, toutes également condamnables.


Mais je viens d’avoir une vision sur laquelle je ferme les yeux pour tâcher de la retenir toujours : parmi les sculptures du portail gauche, cette femme, ce vieillard, — quelle surhumaine science du plan !

— N’est-ce pas cette science, précisément, cette science des sciences, cette science unique, ce principe de l’architecture statuaire, qui manque le plus à notre époque ?

Par ce beau temps, je vois dans toute leur netteté ces profils sobres, à la fois tout gonflés d’éloquence et ramenés, presque, aux lignes droites. Quelle audace ! Elle m’étonne toujours. On a tellement pris l’habitude de négliger le principal, que son expression est devenue incompréhensible.