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Les jets des masses doivent rencontrer le sujet, l’absorber aussi. Un plan ne finit pas parce que le sujet finit, mais parce que la masse a fini son mouvement. Si ce mouvement n’a pas achevé son évolution complète, la sculpture n’est pas finie. (Je parle du fini véritable, autrement important que le fignolage des bras, jambes, têtes, etc.)

Le mouvement se continue quand la statue a dit ce qu’elle voulait dire. Mais elle n’est pas seule à parler : les accessoires lui donnent la réplique. Il faut que le plan déborde la sculpture, que la plinthe, l’accessoire soient continués dans le même mouvement.

Les ornements, draperies ou simples rochers, sont lancés dans un mouvement qui complète la figure principale. La figure principale se groupe aussi avec eux ; car, de loin, le sujet ne compte plus : il n’y a que les masses. Il est certain qu’avant de distinguer dans ce fronton la forme de cette femme, il faut que je sois intéressé par la masse de pierre, que je voie comment elle est architecturale, comment elle sort du jeu des autres masses et comment elle y rentre.

Ensuite, je m’efforce d’analyser l’ensemble et le détail.

Dans une sculpture, vous cherchez si la forme est bonne ou mauvaise et quel est le sujet. Vous avez tort.

Règle générale : l’important est de bien masser. C’est là que se révèle le style, c’est par là qu’on peut juger si l’œuvre est d’un sculpteur habile ou maladroit. On voit tout de suite dans un fronton si les figures sont bien équilibrées.

L’équilibre n’exige pas toujours que la masse soit au milieu : elle peut se trouver sur le côté et s’équilibrer avec tout l’ensemble de l’architecture. Telle est la sculpture du XVIIIe siècle et c’est ce qui lui donne de la légèreté (fronton de la place de la Concorde, de la Légion d’honneur, les bas-reliefs sur les fenêtres). Aussi les sculpteurs de ce temps-là ne s’embarrassaient-ils pas du sujet, — saisons, figures de femmes drapées ou nues, avec ou sans enfants : le sujet ne compte pas, au XVIIIe siècle. On lui a reproché précisément cette insignifiance du sujet, à laquelle nous avons remédié, nous, en inventant des histoires, — et en prouvant ainsi que nous avions perdu le sens de la sculpture et de l’architecture. Nos aïeux, bonnes gens, n’étaient pas des « penseurs » : ils s’exprimaient, tout simplement, par des masses, en beauté, et n’avaient que faire de nos rébus.