Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/80

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Nous l’avons comparée à une femme agenouillée qui tend au ciel ses bras. Cette image ne nous appartient pas. Tous les écrivains qui parlent du monument gothique la rencontrent. C’est qu’elle est juste. Et l’imagination voit cette forme féminine surgir, au commencement, des catacombes, comme Lazare du tombeau, pour se profiler avec la basilique dans une attitude tourmentée, se prosternant à demi sur le sol, n’osant lever qu’un bras encore, à une médiocre hauteur. Déjà la Cathédrale romane rassure et règle cette attitude, déjà la femme s’est agenouillée. Mais elle ramène ses vêtements dans un geste modeste, elle reste courbée très bas, presque accroupie. Elle se redresse de tout son buste avec la cathédrale gothique, ses bras tendus ont toute la ferveur, aussi toute l’autorité de la prière. Ce n’est plus l’humble femme à la mise austère, c’est la grande Dame du ciel, c’est Marie elle-même dans sa robe de reine, et ses rubans tissés de lumière traînent de sa ceinture jusqu’à terre.

Ne pouvait-elle atteindre encore plus haut ?

Elle pouvait se lever. Elle n’en prit pas le temps.

« La Cathédrale s’achève dans le vent », dit admirablement M. Paul Claudel ; la Cathédrale s’est envolée.

Ainsi, vraiment, serait-on tenté de conclure, contre Viollet-le-Duc (par un jeu de mot, qui prend peut-être un grand sens), que, projetée dès la première heure dans le ciel, elle se termine « comme elle a été projetée ». N’est-ce pas la ligne verticale qui désigne le plus essentiellement cette architecture ? Peut-être une logique supérieure destinait-elle la tour, le clocher, né de cette ligne, à demeurer seul, toutes les autres parties du monument abolies, à leur survivre. — Ce n’eût pas été la Tour de Babel. La tour gothique est consacrée deux fois, par la piété et par la beauté. Au lieu de s’approcher de l’ange et de Dieu par le biblique et massif jet de pierres, entassées sans art et qui, simplement, échafaudait à l’humanité orgueilleuse une plate-forme dans les nuages, l’homme du moyen âge s’achemine dans les airs par une échelle plus harmonieusement ouvragée que celle de Jacob, en chantant des cantiques, comme s’il espérait séduire le ciel et l’amener à s’incliner à mi-chemin.

Ainsi la Cathédrale, signe de la vitalité de la pensée chrétienne, nous apparaît-elle comme un « vivant », elle-même, et c’est sans doute la meilleure définition qu’on en puisse donner. Le sens de sa vie, c’est l’amour de Dieu, et sa vie se développe par les efforts ininterrompus qu’il fait, depuis qu’il a pris conscience de