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chapitre vingt-quatrième.

place à la religion de Jésus-Christ. Quelles mœurs peut-on espérer avec un Jupiter adultère, avec une déesse Flore qui exige l’immolation de la pudeur ? Augustin rappelle l’exemple du jeune homme d’une comédie de Térence, qui, brûlant d’une flamme illégitime, donna cours à sa passion après avoir vu dans un tableau l’adultère de Jupiter. Augustin convie le vieillard païen à tourner ses pas vers la céleste république des saints ; il faut renaître par la foi et conquérir cette patrie où les fidèles, après l’hiver des travaux de cette vie, fleuriront dans le printemps de l’éternité. La nécessité de pourvoir aux sûretés de l’avenir oblige de punir les païens de Calame, mais pourtant on se souviendra de la modération chrétienne. L’évêque d’Hippone donne lui-même dans cette lettre un grand exemple de douceur ; Nectarius désirait une sorte d’enquête pour reconnaître les vrais coupables dans ces journées où aucun des païens n’avait fait son devoir. Augustin ne voudrait pas approfondir une affaire dont toute la vérité ne pourrait être arrachée que par des tourments.




CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME.




Lettre à Vincent le rogatiste. — Des peines temporelles portées contre les hérétiques.

Vincent, surnommé le Rogatiste, parce qu’il appartenait à la secte de Rogat, dont il fut le successeur sur le siège de Cartenne, aujourd’hui Ténès, avait connu Augustin dans sa jeunesse à Carthage ; il l’avait trouvé ami du repos, comme nous avons eu occasion de le dire. Il écrivit à l’évêque d’Hippone pour reproduire les griefs des donatistes contre les catholiques, griefs tant de fois réduits au néant. La réponse d’Augustin à Vincent (408)[1] est une des lettres les plus éloquentes du grand évêque ; son étendue lui donne l’importance d’un livre. Ce qui doit nous occuper dans cette lettre, c’est la question de la répression des hérétiques par les puissances séculières. Augustin, si modéré, si profondément pénétré du vrai génie chrétien, n’imaginait pas qu’on pût forcer personne à revenir à l’unité du Christ ; sa première opinion, son opinion naturelle l’avait porté à ne vouloir d’autres armes que la parole et la raison : il craignait de n’obtenir par la violence que des hérétiques déguisés en catholiques. Longtemps il résista aux évêques qui soutenaient des idées contraires. À la fin l’expérience lui prouva ce que nul raisonnement n’avait pu lui prouver, et l’évêque d’Hippone se rendit à des sentiments différents, tout en n’oubliant jamais les devoirs de la charité chrétienne. Augustin fut témoin du retour sincère d’un très grand nombre de donatistes, retour accompli par les menaces des lois. Entrons avec Augustin au fond des choses, et mettons de côté pour un moment nos idées de tolérance philosophique au dix-neuvième siècle : jugeons au point de vue d’une société chrétienne, et non pas au point de vue d’une société pour qui la religion n’est plus qu’une idée spéculative. Plaçons-nous en Afrique dans les premières années du cinquième siècle.

Les populations donatistes vivaient nonchalamment sous l’empire de la coutume ; la force de la coutume est une chaîne qu’ils n’auraient jamais rompue, si la terreur des puissances séculières ne les avait frappées. Cet effroi appliquait leur esprit à la recherche sérieuse de la vérité ; il les pressait de s’enquérir de la valeur des doctrines pour lesquelles leur repos et leurs biens étaient menacés. Les donatistes avaient à se préoccuper de savoir si c’était pour la justice ou par entêtement qu’ils se voyaient près de souffrir. Dans la question agitée, il ne fallait pas un long examen ni un merveilleux effort d’esprit pour s’assurer de la vérité ; il fallait savoir si réellement, d’après les divines promesses, l’Église devait être répandue par toute la terre, et si les nations chrétiennes de l’Occident et de l’Orient étaient coupables de ne pas savoir ce qu’on avait fait dans un coin de l’Afrique. Toute la question se réduisait à ces

  1. Lettre 93.