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chapitre vingt-quatrième.

toute l’irrésistible puissance des faits pour modifier ses idées sur ce point. Parmi les donatistes, les uns demeuraient éloignés de la communion catholique par les menaces de ceux de leur parti ; les autres, peu soucieux de la sincérité de ces grands débats, ne se donnaient pas la peine d’ouvrir les yeux pour reconnaître de quel côté était la vérité ; d’autres enfin vivaient dans la profonde nuit de l’ignorance. Des lois sévères suspendues sur la tête de tous vinrent rendre la liberté à la portion des donatistes dont le parti opprimait la conscience ; elles imprimèrent l’énergie à des cœurs languissants saisis tout à coup de la peur de perdre des biens temporels ; et comme la lumière religieuse accompagnait la menace, l’ignorance vit s’effacer devant elle les ténèbres qui lui cachaient la magnifique unité du christianisme et l’universalité de la foi[1].

Il est aussi une importante remarque dont il faut tenir compte, sous peine de ne rien comprendre à l’histoire religieuse de nos vieux siècles ; c’est que le christianisme tenait aux entrailles mêmes de la société, c’est qu’on était bols citoyen quand on était bon catholique, et qu’en se séparant de la foi on se séparait en quelque sorte de l’État. L’unité religieuse faisait partie de l’unité politique de l’empire ; les hérésies étaient alors ce que sont les factions aujourd’hui. Les donatistes et les circoncellions, ces farouches auxiliaires du parti, déchiraient le sein de l’Afrique ; une moitié du pays était liguée contre l’autre moitié, qui ne se défendait pas, et les ennemis de la foi d’Augustin donnaient volontiers la main aux rébellions contre les empereurs. Les lois de Constantin, de Théodose et d’Honorius avaient donc, outre un intérêt de religion, un intérêt de société ; elles pourvoyaient au repos de l’empire. Les ordonnances parties de Constantinople, de Rome ou de Ravenne, avaient quelque chose du caractère de nos lois modernes dirigées contre les perturbateurs de l’État.

Nous désirons qu’il soit définitivement établi comme vérité historique que la répression des hérétiques par les peines temporelles fut l’œuvre de la politique impériale et non pas de l’Église : la nécessité de se défendre arma les princes ; l’Église s’adressait à la conscience, mais ne touchait pas au corps de l’homme. Lorsqu’elle fut amenée à solliciter le maintien des lois répressives, ou même à solliciter des lois nouvelles, c’est qu’il importait de ne pas se laisser écraser par les violences de l’ennemi. Le vrai génie catholique éclate dans un fait solennel qui répond à tout : après trois siècles d’horribles persécutions, quand la foi de Jésus-Christ monte à l’empire avec Constantin chrétien, comment marque-t-elle sa bienvenue ? Par la liberté des cultes proclamée à la face du monde, et l’histoire vous dira que cette liberté fut vraie.

Il est plus facile de crier à l’intolérance que de découvrir la raison des choses. Quand les passions s’offrent à nous avec leurs traces violentes, nous les déplorons ; mais quelle époque n’a pas, sous des noms et des prétextes divers, des passions terribles dont le retentissement se prolonge péniblement dans l’histoire ? Le philosophe vraiment digne de ce nom, au lieu de se traîner dans la vulgarité des déclamations, s’élève à des hauteurs d’où l’on aperçoit mieux les motifs des actions humaines et le sens des institutions.

Au temps où nous sommes, la religion, séparée moralement de l’État, et vivant de sa propre vie, n’est plus soumise à la triste condition de recourir à la force matérielle pour achever ses triomphes. Dégagée des liens temporels, elle a été rendue à son essence première et s’envole d’une aile plus légère d’un bout du monde à l’autre. Sa première gloire a commencé dans les souffrances et la pauvreté ; c’est par les souffrances et la pauvreté que s’accompliront ses dernières conquêtes. 0 merveilleuse puissance des idées vraies ! Elles n’ont pas besoin d’armées ni de lois impériales, et les cités leur ouvrent les portes sans que les béliers ébranlent leurs murailles. Les royaumes n’ont pas de frontières qui les arrêtent ; elles passent, elles s’avancent, et les nations leur opposent en vain leurs limites ; elles ne suspendent leur marche ni devant la diversité de langues, de lois et de mœurs, ni devant les espaces infranchissables des montagnes, des forêts et des mers ; elles sont à la fois patientes, infatigables et rapides, et leur course à travers la création ne finit que là où finit l’œuvre de Dieu.

  1. Les questions agitées en Afrique au sujet de la répression des donatistes au temps d’Honorius se sont reproduites, en France, au sujet de la contrainte des protestants sous Louis XIV. Les nouveaux convertis du dix-septième siècle refusaient d’aller à la messe par les mêmes motifs dont se servaient les donatistes pour ne pas entrer dans Vanité catholique. L’Église de France, sous Louis XIV, s’inspira de la conduite de l’Église d’Afrique au temps de saint Augustin.