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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/16

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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

ce rêve eût signifié qu’un jour sa mère adopterait ses croyances et non pas qu’il dût embrasser les croyances de sa mère. « Non, » lui répondit Monique sans la moindre hésitation, « il ne m’a pas été dit : vous êtes où il est, mais il est où vous êtes. » Cette prompte réponse de sa mère fit sur l’esprit d’Augustin une plus profonde impression que le songe lui-même.

Augustin cependant resta encore neuf ans dans les voies mauvaises. Un saint évêque que Monique avait supplié de s’occuper de son fils s’en excusa en disant qu’il le trouvait trop indocile ; il fit espérer à la pauvre mère qu’Augustin finirait par quitter de lui-même le manichéisme, et se donna pour exemple, car lui aussi avait été livré à ces rêveries impies. Pressé par les instances et les gémissements de Monique, l’évêque lui fit entendre ces touchantes paroles : « Allez et continuez de faire ce que vous avez fait ; il est impossible qu’un fils pleuré avec tant de larmes périsse jamais. » Monique reçut ces paroles comme si elles étaient descendues du ciel même.

Ô mystérieuse puissance des larmes d’une pieuse mère ! un ange les recueille dans une coupe d’or, et les porte au pied du trône divin comme l’offrande du plus grand prix ; les pleurs d’une sainte mère pour son fils se changent en bouclier de diamant qui le défend à travers la vie. Si ce fils est enseveli dans la nuit du mensonge, les larmes maternelles ont une force inexprimable pour l’arracher du gouffre, quelle qu’en soit la profondeur ; elles disent au jeune homme couché dans le cercueil de l’erreur, comme autrefois le divin Maître au fils de la veuve de Naïm : Lève-toi, je te le commande ! Orages de l’Océan, bêtes du désert, vous ne pourrez rien contre le fils protégé par les larmes d’une mère priant sans cesse au pied de la croix ! vous ne pourrez rien contre lui, périls de tout genre dont la carrière de l’homme est semée : et quand la mère qui prie et qui pleure se sera envolée sur un rayon de lumière vers l’invisible patrie où l’œil ne connaît plus les larmes, sa prière gardera encore le fils qu’elle aura laissé orphelin !

De dix-neuf ans à vingt-huit ans, la vie d’Augustin fut tour à tour consacrée à la défense du manichéisme et à l’enseignement des belles-lettres. Il demeura peu de temps à Thagaste ; la perte d’un ami avec lequel l’avait étroitement lié une conformité de goût, d’âge et d’étude, lui rendit intolérable le séjour de la ville natale. Augustin sentit dans toute son amertume la douleur de ne plus retrouver autour de lui celui qui remplissait sa vie et son cœur. Comme l’idée qu’il se faisait de l’Être éternel restait encore vague et incertaine, ses angoisses, ses larmes, son dégoût du monde ne le ramenaient point à Dieu. Privé de tout soutien au milieu d’un vide immense, et retombant toujours sur lui-même, il était devenu pour son âme comme une habitation funeste qu’elle voulait fuir et d’où elle ne pouvait sortir. Augustin quitta Thagaste pour chercher un peu moins son ami aux lieux où ses regards n’avaient pas coutume de le rencontrer. En reprenant le chemin de Carthage, il pouvait aussi s’abandonner à la pensée d’y trouver une scène plus vaste et plus digne de son talent. Son ami Romanien le vit partir de Thagaste avec regret ; après avoir inutilement combattu la résolution d’Augustin, il ne continua pas moins envers lui ses libéralités.

Augustin enseigna la rhétorique à Carthage ; l’attention publique ne tarda pas à être frappée de ce jeune maître. Il nous faut citer parmi ses disciples un fils de Romanien, Licentius, que nous retrouverons un peu plus tard, et Alype, qui déjà avait reçu à Thagaste les leçons d’Augustin : le nom d’Alype est demeuré à jamais attaché à celui du grand homme dont nous avons entrepris l’histoire. Le nouveau professeur de rhétorique, vivement épris de la gloire, s’enivrait des applaudissements de son école, et, poursuivant les triomphes partout où on pouvait en obtenir, il disputa le prix de poésie qui se proclamait au théâtre au milieu des acclamations d’une nombreuse assemblée. Un devin lui proposa de lui faire remporter la couronne. Ces devins, sorte de charlatans mystérieux, offraient des sacrifices d’animaux pour appeler les démons à l’aide de celui en faveur de qui s’accomplissaient les détestables cérémonies. Augustin, plein d’horreur pour ces abominations, fit répondre au personnage que, quand même la couronne serait d’or et immortelle, il refuserait de l’obtenir au prix de la mort même d’une mouche. Il n’eut besoin que de son talent pour remporter le prix. Le proconsul de Carthage qui posa la couronne sur la tête d’Augustin était un médecin célèbre appelé Vindicien. Il admit le jeune vainqueur dans sa familiarité ; s’étant aperçu de sa passion pour les livres qui traitaient de l’astrologie judi-