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histoire de saint augustin.

dans la magistrature ; il lui fallut vaincre, à force d’éloquence, une rude opposition pour arriver seulement à se faire dresser une statue dans la ville d’Oca, où il s’était marié.

Ainsi la parole d’Augustin éclairait et secouait le paganisme ; elle renversait les objections dont s’armait le mauvais vouloir ou l’ignorance, triomphait des hésitations, fortifiait les bonnes résolutions naissantes et obligeait toutes les renommées, toutes les doctrines anciennes, toutes les philosophies à courber la tête devant le Christ. Quelques années auparavant, un autre grand évêque, Chrysostome[1], parlant du haut de sa chaire de Constantinople, avait pu s’écrier avec vérité : « Que sont devenues les philosophies de Platon et de Pythagore et des maîtres d’Athènes ? elles sont vaincues. Que sont devenues les doctrines des pêcheurs et des fabricants de tentes ? Elles éclatent plus que la lumière du soleil, non pas seulement en Judée mais chez les peuples barbares. »

À la même époque où le génie d’Augustin expliquait ou justifiait le Christianisme auprès des païens dont le cœur flottait encore incertain, sa charité veillait sur le sort des donatistes vaincus à Carthage. Il recommandait à Marcellin[2] de se ressouvenir qu’il était un juge chrétien et qu’il devait être à la fois juge et père. Il y a des crimes de circoncellions à punir, mais l’humanité impose des devoirs. Ces crimes doivent être regardés, moins comme des sujets de vengeance, que comme des plaies qu’il faut guérir. Augustin invite Marcellin à continuer à ne faire usage ni des chevalets ni des ongles de fer, ni du feu, pour arracher la vérité de la bouche des coupables, mais à se contenter des verges, châtiment dont les pères usent envers leurs enfants, les maîtres envers leurs écoliers et souvent même les évêques dans les affaires qui se traitent devant eux. Ce dernier détail nous donne quelque idée de la justice épiscopale dans ces temps où beaucoup d’affaires se traduisaient devant les évêques.

Augustin écrivait dans les mêmes sentiments au proconsul Apringius. Des circoncellions et des clercs donatistes avaient attaqué deux prêtres catholiques d’Hippone, Restitute et Innocent ; ils avaient assommé l’un dans une embuscade, et enlevé l’autre de sa maison pour lui arracher un œil et lui couper un doigt avec une pierre tranchante. Les coupables avaient avoué leur crime ; Augustin supplie le proconsul, au nom de la miséricorde de Jésus-Christ, de ne pas les punir de mort. Il lui répugne que la justice rende le mal pour le mal avec des chrétiens, et demande que les coupables ne reçoivent ni la mort ni aucune mutilation. On pourrait les condamner à quelque ouvrage utile. Augustin va jusqu’à dire que si les coupables sont trop sévèrement punis, il s’en plaindra et en appellera.

L’évêque d’Hippone, infatigable dans sa miséricorde, s’adressa aussi à Marcellin[3]. Il demandait les actes, c’est-à-dire les déclarations mêmes des coupables pour les faire lire dans son église d’Hippone, afin de porter la lumière dans l’esprit de ceux qui garderaient des illusions sur le parti de Donat. Si le proconsul refuse d’avoir égard à sa prière, Augustin demande qu’on laisse au moins les coupables en prison, pour qu’il ait le temps d’obtenir leur grâce. L’Église tire sa gloire des souffrances des serviteurs de Dieu ; le sang des ennemis ôterait au martyre quelque chose de sa splendeur. Augustin parle des affaires de toute nature dont sa vie est accablée, et qui l’enlèvent à ses travaux.

Après la lecture de ces passages et de tant d’autres qui ont été reproduits dans cet ouvrage, croirait-on que des écrivains modernes aient essayé de montrer Augustin comme un homme dur, impitoyable envers les hérétiques, comme le patriarche des chrétiens persécuteurs[4] ? La charité chrétienne, dans sa plus tendre et plus persévérante énergie, a été transformée en un fanatisme cruel ! On a vu de la colère et de la haine dans cette âme pleine d’amour pour les hommes, et d’où s’échappent avec une prodigieuse abondance tous les trésors d’une douce pitié. Oh ! combien nous serons payé de notre laborieuse tâche, si nous parvenons à dissiper des préventions, à rectifier des erreurs sur le caractère du grand évêque d’Hippone, si nous faisons aimer ce doux et bienveillant génie autant qu’il mérite de l’être !

  1. Sancti Chrysostomi opera, t. XII, p. 512.
  2. Lettre 133.
  3. Lettre 139.
  4. Barbeyrac, Préf. du Traité du droit de la nature et des gens, traduit de Puffendorf.