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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/191

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chapitre trente-troisième.

ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ! » Quand l’Ecriture a dit que Dieu est invisible, elle a parlé de sa nature ; Dieu s’est montré aux hommes, non pas tel qu’il est, mais sous la forme qu’il lui a plu d’emprunter. Nous verrons Dieu un jour comme les anges le voient, car dans le ciel nous serons égaux aux anges. On ne verra point Dieu comme quelque chose d’étendu dans l’espace, mais par la seule pureté du cœur ; les organes de nos sens ne pourront pas l’atteindre ; il ne frappera point l’oreille comme un son dans les airs. C’est le Verbe, fils unique du père, qui nous fera entrer dans la plénitude de la divine substance.

Le grand évêque fait ressortir l’excellence des yeux de l’esprit, leur supériorité sur les yeux du corps ; il établit avec des traits admirables l’immatérialité de notre intelligence et de Dieu. Fermons les yeux et considérons dans nos pensées le ciel et la terre ; nous gardons en nous-mêmes les images de la création ; nul n’est assez fou pour croire que le soleil, la lune, les étoiles, les fleuves, les mers, les montagnes, les collines, les cités, les murs de sa maison ou de sa chambre, demeurent dans sa pensée comme des corps en mouvement ou en repos, placés de distance en distance ; si donc les lieux et les corps représentés dans notre âme n’y sont pas placés comme dans un espace, que dirons-nous de la charité, de la joie, de la patience, de la paix, de l’humanité, de la bonté, de la foi, de la douceur, de la tempérance, qui n’ont aucun rapport avec l’étendue ? Nul intervalle les sépare entre elles, l’œil de l’âme n’a besoin d’aucune distance pour les voir ; elles sont distinguées les unes des autres, sans que nulle limite les sépare. Aperçoit-on le lieu qu’habite la charité ? A-t-on mesuré sa grandeur comme on mesure une masse ? Quand la charité nous invite intérieurement à suivre ses règles, entendons-nous un son qui frappe notre oreille ? Ouvrons-nous la paupière pour la voir, les bras pour la saisir, et sentons-nous sa marche, lorsqu’elle vient dans notre esprit ?

Si donc ce peu de charité qui est en nous échappe à l’étendue, aux yeux et à tous les sens du corps, à toutes les limites, à plus forte raison Dieu, qui l’a mis dans notre âme, échappe-t-il à toutes les conditions de la matière ? Si notre homme intérieur, image de Dieu lui-même, quoiqu’il se renouvelle de jour en jour, habite déjà cependant dans une lumière inaccessible aux yeux du corps ; et si tout ce que nous voyons dans cette lumière avec les yeux de l’âme ne connaît ni espace ni limites, combien doit être inaccessible aux sens, accessible seulement aux cœurs purs, la lumière où Dieu réside ! Puisque la paix de Dieu surpasse toute pensée, comme dit l’Apôtre[1], elle doit être d’un ordre supérieur à notre intelligence. La paix de Dieu n’est autre chose que la splendeur de Dieu : c’est son fils unique dont la charité est au-dessus de toute science, et dont la connaissance nous comblera de la plénitude de Dieu. Comment les yeux de notre corps, qui sont impuissants a voir ce qu’il y a de plus excellent en nous, verraient-ils ce qu’il y a d’infiniment meilleur que la plus excellente partie de nous-mêmes ? On ne saurait prouver plus fortement l’invisibilité de Dieu.

Un peu plus loin, Augustin nous fait comprendre que Dieu n’a pas cessé d’être invisible et immuable en se montrant parfois aux hommes sous des formes qu’il lui plaisait d’emprunter ; il en était ici de Dieu comme de notre volonté, qui demeure cachée en nous sans aucun changement, tout en se révélant au dehors par des paroles.

Augustin ne pense pas que Dieu se rende visible dans le ciel, aux yeux mêmes des corps devenus spirituels par la résurrection : la vision de Dieu sera le privilège exclusif des cœurs purs. Augustin avait déjà soutenu cette opinion dans sa lettre à Italica ; quelques évêques de son temps étaient d’un avis contraire.

Cette lettre à Pauline, où l’évêque d’Hippone marche avec saint Ambroise, est un remarquable monument de métaphysique chrétienne ; le pénétrant génie philosophique d’Augustin s’y montre avec une rare vigueur. Cette lettre honore aussi l’illustre Romaine à laquelle elle est adressée ; la femme qu’Augustin croyait propre à comprendre un tel langage et d’aussi hautes vérités, devait avoir l’esprit accoutumé à la sérieuse contemplation des grandes choses.

Nous avons dit que tous les évêques n’étaient pas d’avis que Dieu resterait invisible aux yeux des corps spirituels après la résurrection ; il y en avait un qui s’était senti offensé de quelques passages de la lettre à Italica ; Augustin,

  1. Philip. 4.