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histoire de saint augustin.

de l’âme est scrutée avec profondeur et une sorte d’anxiété d’esprit, Augustin incline un peu vers l’opinion de saint Jérôme, qui pensait que Dieu crée journellement des âmes à mesure que des enfants reçoivent la vie ; il ne s’attache pas définitivement à cette opinion, parce qu’il y trouve une grande difficulté au sujet du péché originel ; si notre âme n’est pas engendrée par celle d’Adam, si c’est une autre âme, où peut-on dire qu’elle a péché, et comment se trouve-t-elle entachée de la faute originelle ? On faisait une autre objection à l’opinion de saint Jérôme : pouvons-nous croire que Dieu crée des âmes pour des hommes dont il sait la vie si courte ?

Augustin répond à ceci d’une manière magnifique. Nous pouvons, dit-il, abandonner ce secret à la conduite de Celui qui a donné un cours si beau et si réglé à toutes les choses passagères, parmi lesquelles figurent la naissance et la mort des animaux : si nous pouvions comprendre un tel ordre, nous en goûterions une délectation ineffable. Ce n’est pas en vain que le Prophète a dit de Dieu : Il conduit les siècles avec harmonie. C’est pour faire sentir aux créatures mortelles quelque chose de cet ordre ravissant, que Dieu leur a donné la musique. Si le compositeur habile sait la durée qu’il faut accorder à chaque son pour que la succession des notes produise un bel ensemble, à plus forte raison Dieu, dont la sagesse est supérieure à tous les arts, a marqué pour la naissance et la mort des êtres des espaces de temps, qui sont comme les syllabes et les mots de cet admirable cantique des choses passagères ; il leur a donné plus ou moins de durée, selon la modulation qu’il a conçue d’avance dans sa prescience éternelle. La chute de la feuille d’un arbre et la chute d’un cheveu de notre tête appartiennent à cet ordre merveilleux ; combien plus doivent y appartenir la naissance et la mort de l’homme, à qui Dieu accorde des jours plus ou moins nombreux, selon ce qu’exige l’harmonie de l’univers !

À la fin de sa lettre, Augustin, parlant à Jérôme de son ignorance de l’origine de l’âme lui dit : « Il y a beaucoup d’autres choses que je ne sais point ; il y en a tant, que je ne puis ni les mentionner ni les compter. »

Augustin remit à Orose, pour saint Jérôme en même temps que sa lettre sur l’Origine de l’Âme, une lettre sur ce passage de saint Jacques : « Celui qui, ayant gardé toute la loi vient à la violer sur un seul point, est coupable comme s’il l’avait violée en tout[1]. » Au milieu d’une foule d’aperçus philosophiques et religieux, le grand évêque exprime par une belle comparaison le vrai caractère du progrès de l’homme dans la science des choses d’en haut ; cette comparaison rectifie une erreur des stoïciens refusant de croire à toute sagesse qui n’est pas montée à l’état de perfection. Selon eux, l’ignorance et les vices sont comme une eau profonde, et la sagesse est comme l’air qu’on respire par-dessus : tant qu’on n’est pas sorti de l’eau, on n’est pas sauvé. Telle n’est point la marche de l’homme dans l’étude de la sagesse. Augustin nous apprend qu’on ne passe pas du vice à la vertu comme on s’élève tout d’un coup du fond de l’eau à la libre et pure région de l’air ; ce passage est lent et gradué, pareil à celui d’un homme qui va des ténèbres à la lumière ; à mesure qu’il sort des profondeurs de la caverne, l’ombre devient moins épaisse, et chaque pas qui le rapproche de l’entrée le rapproche de la lumière : dans cette marche l’homme garde à la fois quelque chose de lumineux et d’obscur, qui participe du point vers lequel il se dirige, et du lieu d’où il sort. La manière d’Augustin rappelle entièrement ici la manière de Platon ; plus d’une fois le génie africain se fait grec par la poésie de l’expression.

Ainsi la correspondance de l’évêque d’Hippone nous initie aux mouvements de son âme, aux pulsations de sa pensée, aux intimes variétés de cette grande vie qui se livrait aux besoins religieux de tout un siècle.

  1. Saint Jacques II, 10.