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chapitre trente-septième.

choses divines. L’évêque nous apprend comment il faut concevoir la grandeur et l’étendue de Dieu, comment Dieu est partout, comment il habite dans les hommes, ce que c’est que d’être près ou loin de Dieu. Vis-à-vis des hommes, Dieu est comme un son qu’on entend plus ou moins, selon qu’on a l’oreille plus ou moins ouverte ; il est comme la lumière dont on est plus ou moins près, selon qu’on est plus ou moins capable de voir. La seconde question donne lieu à Augustin de parler de la nature humaine soumise à l’empire du péché, de la nécessité de la régénération, et de cette grâce dont il signale les ennemis sans les nommer. Le pélagianisme étant le danger du moment, Augustin en avertissait à toute occasion ; ses lettres avaient prémuni l’Italie et les Gaules, l’Afrique et l’Orient. La parole de l’évêque d’Hippone était devenue un glaive dont le monde chrétien tout entier pouvait s’armer pour défendre la foi.

Ce soin de protéger, les intelligences contre les atteintes de l’erreur se révèle avec toute l’effusion de l’amitié dans la lettre[1] écrite à Juliana au sujet du Livre à Démétriade. Augustin regardait la maison de Juliana comme une Église de Jésus-Christ, et s’effrayait à la seule idée que les croyances évangéliques pussent s’y corrompre. L’évêque d’Hippone désire savoir l’auteur du Livre à Démétriade. On disait à la vierge romaine : « Votre noblesse et votre opulence temporelles sont de vos aïeux plutôt que de vous-même ; mais, quant à vos richesses spirituelles, nul autre que vous n’a pu vous les donner ; elles ne peuvent venir que de vous et ne peuvent être qu’en vous, et c’est par là que vous devez être louée et mise au-dessus des autres. » Ces paroles niaient l’indigence de l’âme humaine et contredisaient saint Paul, qui a dit : Nous portons ce trésor dans des vases fragiles, afin que la puissance soit en Dieu et non pas en nous[2]. Augustin multiplie les témoignages de l’Écriture pour montrer que la virginité, comme les autres dons, vient d’en-haut et descend du Père des lumières[3]. On peut dire que le bien est notre ouvrage, puisqu’il est le produit de notre libre arbitre sans lequel rien de méritoire ne saurait s’accomplir ; mais il n’est pas vrai qu’il ne vienne que de nous : la force divine nous aide.

Le grand évêque espère que si le livre dont il parle est parvenu à la jeune Démétriade, elle en aura gémi ; elle aura frappé humblement sa poitrine, et peut-être aura-t-elle versé des larmes en se jetant aux pieds du Seigneur à qui elle s’est consacrée et qui l’a sanctifiée. Les paroles et la foi contre lesquelles Augustin proteste ne sont pas de Démétriade, mais d’un autre ; et ce n’est pas en elle, c’est dans le Seigneur que la jeune vierge se glorifiera. « Il faut, dit l’Apôtre, que chacun s’éprouve soi-même, et alors il trouvera en lui sa gloire et non point dans un autre. » Au lieu de se croire elle-même sa propre gloire, Démétriade s’écriera avec David : « Mon Dieu, vous êtes ma gloire, et c’est vous qui élevez ma tête[4]. » Augustin prie Juliana de lui faire savoir si tels sont bien les sentiments de sa fille. Il lui demande de chercher dans le Livre à Démétriade quelque chose de favorable à la doctrine de la grâce ; il le souhaite d’autant plus vivement que ces hommes (les pélagiens) sont, dit-il, beaucoup lus à cause de la force et de l’éloquence de leurs écrits. À la fin de sa lettre, l’évêque d’Hippone prononce le nom de l’auteur du Livre à Démétriade, qu’il semblait ignorer au commencement ; il a cité plus tard[5] à Pélage comme auteur de cet écrit ; et son jeune ami Orose, dans l’Apologétique, attribue positivement au novateur breton le Livre à Démétriade. Il paraît du reste qu’il y avait eu deux livres de Pélage adressés à la fille de Juliana, et que dans l’un de ces livres l’hérésiarque reconnaissait la grâce de Dieu. Augustin parlait ainsi, d’après une lettre de Pélage ; et comme celui-ci s’enveloppait toujours d’ambiguïtés, le saint évêque ne savait guère à quoi s’en tenir sur les écrits de Pélage adressés à la jeune vierge romaine.

Nous devons mentionner ici une lettre de saint Augustin, découverte au siècle dernier dans les manuscrits de la bibliothèque du monastère de Gottweig[6], sur la rive droite du Danube, et qu’on croit se rapporter à l’année 417 c’est une réponse à des questions religieuses adressées par deux personnages, Pierre et Abraham, que l’évêque d’Hippone appelle seigneurs bien-aimés et saints fils. La destinée des

  1. Lettre 188.
  2. Corinth., II, IV, 7.
  3. Saint Jacques, I, 17.
  4. Ps. III, 4.
  5. Livre De la grâce de Jésus-Christ, chap. 22 et suiv.
  6. Cette lettre, qui manque à l’édition des Bénédictins, a été publiée dans l’édition des frères Gaume. Elle fut découverte par le R. P. Godefroy Besselius, abbé du monastère de Gottweig, publiée pour la première fois en 1732, et publiée ensuite à Paris, en 1731, par dom Jacques Martin, moine de Saint-Benoît. Une autre lettre de saint Augustin, dont nous parlerons plus tard, fut trouvée et mise au jour en même temps. Les frères Gaume ont donné les deux lettres avec des préfaces de Besselius et de Martin. Tome ii, p. 38.