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chapitre trente-huitième.

En 1842, quand les Français fouillèrent le sol pour la construction de deux casernes, des statues se rencontrèrent sous les coups des travailleurs ; des dieux et des amours sortirent de dessous terre ; le paganisme enseveli par les siècles revit le jour dans ces froides et muettes images ; le fer des travailleurs les mutila ; ce fut regrettable, car l’ancien génie des arts respirait dans ces statues. Sur un autre point, à deux mètres au-dessous du sol, on trouva des traces d’un ancien temple et de vastes palais entourés de péristyles.

On admire la hardiesse de ces monuments, qui reposaient sur une multitude de colonnes, dont les bases étaient demeurées intactes : des tronçons de colonnes couvraient des pavés en mosaïque. Le théâtre offre encore les sièges où se pressaient les spectateurs ; la scène a disparu sous des constructions mauresques. Le cirque, plus vaste que celui de Nîmes, n’a point traversé aussi heureusement les âges. Une rivière qui se nomme aujourd’hui Hakem, fournissait de l’eau aux fontaines de Césarée ; elle passait sur un aqueduc superbe, aux arches colossales ; l’imagination peut restituer à l’aqueduc toute sa beauté, par l’examen des ruines dans les vallées sud-ouest, à une lieue environ de la ville.

On retrouve dans l’enceinte actuelle de Cherchell les citernes qui recueillaient les eaux de l’aqueduc. On en compte six ; elles servent de caves à l’administration militaire. Un bâtiment qu’on vient d’élever sur leurs voûtes solides en assure pour longtemps la conservation.

Cherchell, c’est le nom actuel de Césarée, forme aujourd’hui une cité d’environ deux mille habitants ; elle n’occupe qu’un très-petit espace de l’ancienne enceinte, et cet espace peut être évalué à 1,500 mètres de circonférence. Cherchell n’a pour tout commerce que sa poterie, qu’elle vend aux Kabyles et aux Arabes. Ses maisons n’ont qu’un étage et sont de chétive apparence. Les habitations construites par les Français se détachent à travers la misérable uniformité des cabanes de Cherchell. La morale et la muse de l’histoire ont droit de se plaindre que les Français de Cherchell se soient bâti des demeures avec des pierres tumulaires et des pierres couvertes d’inscriptions. Ces maisons construites avec des débris de tombeaux, ces pages historiques `placées sous la truelle des maçons et cachées

dans un mur comme des pierres ordinaires, tout cela sent le génie de la barbarie, bien plus que le génie de la civilisation. Les Turcs de l’Asie-Mineure n’agissent pas autrement avec les plus vénérables et les plus beaux souvenirs d’un passé qui ne leur dit rien.

Le port de Césarée présentait deux parties le Cothon, rempli de colonnes et de décombres qu’on déblaye actuellement pour le petit cabotage, et un autre grand bassin à l’ouest, où se reconnaissent les restes d’une jetée. C’est du Cothon, où se trouvent accumulés tant de débris, qu’on a tiré quelques souvenirs des vieux âges chrétiens : des plats en terre, des lampes d’argile ornés de croix latines. Deux colombes semblent embrasser le pied de la croix, tandis qu’une troisième est posée sur le sommet. Nous espérons que des fouilles profondes remettront en lumière la basilique de Césarée, où Augustin fit entendre des paroles de paix et d’union. À l’extrémité du petit banc de sable qui sépare les deux bassins, il est un îlot où les Espagnols bâtirent jadis un fort appelé maintenant fort Joinville. Ce fort domine un grand nombre de petits caveaux où l’on a trouvé des débris de lampes en bronze, et beaucoup de médailles romaines à l’effigie des consuls.

Ainsi les choses d’autrefois et les choses du temps présent se pressent sous notre plume. Pour que le lecteur s’attache avec plus d’intérêt aux pas d’Augustin, nous aimons à lui parler des lieux où le zèle et le devoir poussent le grand évêque.

À la fin du mois d’août ou au commencement de septembre, Augustin, accompagné d’Alype et de Possidius, était en route pour Césarée, chargé d’une mission de la part du pontife Zozime. Les plus grands intérêts de la foi chrétienne l’avaient retenu à Carthage ; il fallait encore de grands intérêts religieux pour qu’au lieu d’aller rejoindre son cher troupeau d’Hippone, l’illustre pasteur se dirigeât vers des points éloignés.

Les renseignements contemporains ne nous apprennent rien de précis sur les motifs de ce voyage ; mais nous connaissons quelques-uns des fruits heureux que ce voyage produisit, et ces fruits-là n’avaient pas été prévus peut-être : l’unité et la concorde à Césarée naquirent de la parole d’Augustin.

Le saint évêque se trouvait à Césarée vers la mi-septembre. L’évêque donatiste de cette ville