Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
chapitre trente-huitième.

parmi les catéchumènes ; à cette nouvelle, Augustin joyeux écrivit à l’ancien compagnon de sa jeunesse. Il lui rappelait comment Cicéron a défini l’amitié, lui disait que pendant longtemps il n’y avait eu entre eux qu’une conformité de sentiments sur les choses humaines, et que maintenant leur amitié allait devenir complète par la conformité des sentiments sur les choses divines. Ce n’est plus une passagère union bornée il cette courte vie, mais une union immortelle par l’espérance d’un immortel avenir. Augustin pense qu’on n’est parfaitement d’accord sur les choses du monde que lorsqu’on est d’accord sur les choses de Dieu. Martien n’est devenu véritablement son ami que depuis qu’il a commencé à chercher Dieu. L’évêque d’Hippone l’exhorte à recevoir au plus tint le sacrement dit baptême.

« Souvenez-vous, » lui dit-il, « qu’au moment de notre séparation, vous me citâtes un vers de Térence où ce poète, ne songeant a qu’à se jouer, donne un avis qui me convenait fort : Désormais il faut d’autres mœurs et une autre vie[1]. Si vous me parliez sérieusement alors, comme je dois le croire, vous vivez sans doute de manière à vous rendre digne de recevoir, dans les eaux salutaires du baptême, la rémission de vos fautes passées. À Jésus-Christ seul nous pouvons dire : Grâce à toi, si quelques traces de nos crimes subsistent encore, nous cesserons de craindre[2]. Virgile tenait ceci de la sibylle de Cumes, à qui l’esprit de Dieu avait révélé peut-être quelque chose du Sauveur du monde. »

Ces souvenirs des lettres profanes n’apparaissent pas sans charmes dans les pages destinées à achever la conversion d’un païen.

Il arrivait que de nouveaux chrétiens, perdant la mémoire des maximes de Jésus-Christ, retombaient dans les vices et les habitudes du paganisme. Quelques-uns mêlaient des prétentions étranges à la perversité des mœurs. Le seigneur Cornélius, ancien compagnon d’étude d’Augustin, avait perdu une douce et chaste épouse ; il écrivit à l’évêque d’Hippone pour lui parler de sa douleur et lui demander de vouloir bien adoucir la blessure de son cœur par un éloge de l’épouse qui n’était plus. Or, Cornélius ne montrait dans les actions de sa vie aucun respect pour le souvenir de sa femme morte. Le scandale habitait sa demeure. Augustin[3] s’étonne qu’on demande à être consolé lorsqu’on donne de tels spectacles. Il rappelle les paroles par lesquelles Cicéron gourmandait les sénateurs de Rome au profit de la République, et se croit autorisé à tenir un sévère langage au nom des intérêts de la république du ciel, dont il est chargé comme évêque. Corneille, dans sa jeunesse, quand il n’était encore ni baptisé ni même catéchumène, eut un moment le courage de triompher de ses passions ; maintenant qu’il est comme Augustin, au déclin de l’âge, il s’abandonne à tous les excès ! Il est bien plus mort que sa femme, et c’est de sa propre mort que ses amis ont besoin d’être consolés. Augustin lui dit que s’il enseignait encore la rhétorique comme à Carthage ou à Milan, ses écoliers le paieraient d’avance ; Augustin veut lui vendre l’éloge d’une des plus chastes femmes du monde ; le prix qu’il exige, c’est qu’il soit chaste lui-même. Cyprienne (c’était le nom de cette femme) aura alors pour imitateur Cornélius et pour panégyriste Augustin. Nous ignorons si Cornélius accepta les conditions que lui proposait l’évêque d’Hippone.

Un admirateur d’Augustin se félicitait d’avoir reçu de lui une réponse ; mais elle était très-courte et n’avait laissé entrevoir qu’une petite partie des trésors de cette haute sagesse, si toutefois on peut jamais appeler petit ce qui vient d’Augustin. Audax (c’était le nom de ce chrétien) l’appelait l’oracle de la loi, le distributeur du gage sacré de la justice, le dispensateur du salut éternel. Augustin, écrivant une seconde fois à Audax, s’excuse de ne pouvoir dicter de longues lettres ; les affaires de l’Église lui laissent peu de loisirs, et ces courtes heures de loisirs, il les consacre aux plus urgentes ou aux plus utiles compositions. Il repousse les louanges que lui donne l’opinion contemporaine. Audax avait terminé sa lettre par dix vers hexamètres, dont le dernier avait sept pieds ; Augustin lui demande si son oreille l’a trompé, ou s’il a cru que l’évêque d’Hippone ne s’en apercevrait point, et que toutes ces choses d’un passé profane étaient sorties de son esprit.

Le ministère épiscopal n’avait rien fait oublier à Augustin ; les moindres détails de ses anciennes amitiés lui reviennent à propos : la prose de l’orateur romain, les vers de Virgile

  1. Tér., Andr. Act. Sc. i.
  2. Virgile, Églog., iv.
  3. Lettre 280.