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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

le cours de mes pleurs, je me levai, ne pouvant expliquer autrement ces paroles que comme un ordre divin d’ouvrir le livre des Écritures, et d’y lire le premier chapitre que je trouverais. J’avais entendu qu’Antoine étant entré dans une église au moment où on y lisait ces paroles de l’Évangile : Allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, et après cela, venez et suivez-moi, les reçut comme un avertissement particulier du ciel, et se convertit. Je retournai donc précipitamment au lieu où Alype était demeuré assis. C’est là que j’avais laissé le livre de l’Apôtre, lorsque je m’étais éloigné de cette place. Je le pris, je l’ouvris, et je lus en silence le chapitre sur lequel mes regards se portèrent d’abord : Ne vivez ni dans les excès du vin, ni dans ceux de la bonne chère, ni dans l’impureté de la débauche, ni dans un esprit de contention et de jalousie ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et n’ayez pas l’amour de votre chair jusqu’à la livrer aux sensualités. Je n’en voulus pas lire davantage ; il n’en était pas besoin ; car à peine eus-je achevé ce passage, qu’il se répandit dans mon cœur comme une lumière qui lui rendit la paix, et qu’à l’instant même se dissipèrent les ténèbres de mes doutes. Puis ayant marqué cet endroit du livre du doigt ou de je ne sais quel autre signe, je le fermai, et avec un visage paisible j’appris à Alype ce qui m’était arrivé. Je ne savais pas ce qui se passait en lui dans ce moment, et voici comment il me le découvrit. Il désira voir ce que je venais de lire, je le lui montrai ; il porta ensuite son attention au delà de ce passage, j’ignorais ce qui suivait. Or, on lisait ces paroles : Recevez celui qui est faible dans la foi ; il se les appliqua et s’en ouvrit à moi. Il se trouva tellement fortifié par ces avertissements, que, sans trouble ni hésitation, il s’associa à moi dans un tranquille et pieux dessein si bien conforme à ses mœurs, depuis longtemps plus pures que les miennes. Nous allons trouver ma mère ; nous lui apprenons l’événement, elle se réjouit ; nous racontons comment il s’est passé, elle tressaille et triomphe, etc. »

La scène sous le figuier achève merveilleusement la transformation orageuse de l’âme d’Augustin : l’imagination ne conçoit rien de plus frappant dans l’histoire des sentiments humains et des révolutions du cœur.

Augustin venait de rompre avec toutes les espérances du siècle ; sa mère, qui recevait le prix de ses larmes et de ses oraisons, obtenait plus qu’elle n’avait souhaité. Le prophétique songe de Monique s’était accompli.

Le voilà donc en possession de la vérité, cet admirable jeune homme, qui l’avait si longtemps et si ardemment cherchée ! Le voilà au port, ce hardi navigateur sans boussole, après avoir inutilement exploré tant de plages, doublé tant de caps, subi le choc de tant de vagues orageuses ! Il entre enfin dans la vérité, dont les flots bleus et purs n’ont jamais connu ni agitation ni naufrage ; Dieu lui-même se peint dans la radieuse et calme immensité de cet océan du vrai, et toute intelligence qui aborde ce rivage est inondée de félicités inconnues à la terre.

Pascal, ce ferme et sublime esprit qui chercha la vérité avec des gémissements comme le fils de Monique, et dont les Pensées portent la trace d’une profonde étude de saint Augustin, a écrit ces mots : « Il est bon d’être lassé et fatigué par l’inutile recherche du vrai bien, afin de tendre les bras au libérateur. »

Augustin vient de trouver ce libérateur qu’invoquait son cœur brisé.