CHAPITRE CINQUANTE-QUATRIÈME.
Les Vandales qui menaçaient l’empire dans les régions africaines menaçaient aussi la foi catholique : ils professaient un arianisme passionné. Les intérêts romains et les intérêts catholiques en Afrique étaient les mêmes. L’alliance du comte Boniface avec Genséric était quelque chose de monstrueux et de funeste qu’il fallait d’abord faire cesser : c’est à quoi tendaient toutes les pensées, tous les vœux des fidèles africains. On soupçonnait que l’origine de ces déplorables événements cachait une trame de mensonge ; mais comment se faire jour dans les ténébreuses profondeurs des intrigues de cour ? Augustin s’en occupait tristement et presque sans cesse ; sa sévère et belle lettre à Boniface avait parlé de devoir et de dévouement ; il avait disposé le comte à revenir à la cause impériale, et depuis lors, il travaillait à lui ouvrir la porte de la réconciliation. Par son inspiration, une ambassade d’évêques, à la tête desquels figurait Alype, prit le chemin de l’Italie ; cette ambassade avait mission de découvrir la vérité et d’opérer un rapprochement entre l’impératrice Placidie et le comte Boniface. À la fin d’une lettre à Quodvultdeus, diacre de Carthage, Augustin lui disait : « Si vous avez des nouvelles du voyage de nos a saints évêques, je vous prie de m’en informer[1]. » Nous ne savons rien de précis sur la lumière dont furent découvertes les machinations d’Aétius ; la vérité put sortir des explications échangées entre Placidie et les évêques africains et de la comparaison des lettres à Carthage. Dès que la fatale erreur de Placidie se trouva reconnue, des amis apportèrent au comte les regrets de l’impératrice, et négocièrent la réconciliation[2].
Le retour sincère de Boniface est une des plus belles pages de sa vie ; il fallait pour cela une force d’âme bien supérieure à la grandeur qu’on déploie sur un champ de bataille. C’est la religion qui, par la bouche d’Augustin, avait préparé Boniface à cet acte d’héroïsme. Le négociateur principal fut Darius, personnage important de la cour impériale, élevé, quelques années après, à la dignité de préfet du prétoire. Il parvint aussi à obtenir des Vandales une trêve. L’évêque d’Hippone ne le connaissait point, mais il se hâta de lui écrire une lettre[3] de félicitation, qui exprime la joie des populations catholiques de l’Afrique ; il lui vantait les bienfaits de la paix, et l’invitait à se réjouir d’avoir été chargé d’une si heureuse mission. Augustin se serait rendu auprès de Darius, si les infirmités de la vieillesse le lui avaient permis.
La réponse de Darius fut prompte et toute pleine d’une respectueuse admiration pour l’évêque d’Hippone ; elle est un monument de l’opinion contemporaine sur ce grand homme, et l’élégance du style nous prouve que les belles traditions littéraires ne périssaient point encore dans les rangs élevés de la société romaine. Cette lettre[4] de Darius est la vive expression du regret de n’avoir jamais vu ni entendu Augustin. S’il avait pu voir la lumière céleste du