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LES RÉTRACTATIONS





LIVRE PREMIER.

révision des livres écrits avant la promotion à l’épiscopat.


CHAPITRE PREMIER.

contre les académiciens — trois livres.


1. Lors donc que j’eus abandonné tout ce que j’avais acquis ou tout ce que je souhaitais d’acquérir des biens qu’on désire dans ce monde, et que je me fus entièrement voué aux libres loisirs de la vie chrétienne, bien que je ne fusse pas encore baptisé, j’écrivis d’abord contre ou sur les Académiciens. Leurs arguments inspirent à plusieurs le désespoir de la vérité ; ils éloignent le sage de donner son adhésion à aucune réalité, et de considérer quoi que ce soit comme certain et manifeste ; car d’après eux tout est incertitude et obscurité. J’avais été ébranlé par ces arguments et je voulais les détruire en leur opposant des raisons aussi fortes que possible. Par la miséricorde et l’assistance de Dieu, j’y parvins.

2. Mais dans ces trois livres, je regrette d’avoir si souvent nommé la Fortune[1] ; non pas sans doute que j’aie voulu par ce nom entendre quelque divinité, mais seulement le cours fortuit des événements se manifestant dans les biens et les maux, soit au dedans, soit au dehors de nous. De là en effet viennent ces mots : «par hasard, peut-être, accidentellement, d’aventure, fortuitement ; » mots dont nulle religion ne défend de se servir, mais qui tous doivent se rapporter à la Providence divine. Je ne m’en suis pas tu, du reste, puisque j’ai dit :

« Peut-être ce que nous appelons vulgairement la fortune est-il le gouvernement d’un ordre caché, et ce que nous nommons le hasard n’est-il autre chose que l’effet d’une cause secrète et d’une raison inconnue. » Je l’ai dit ; et pourtant je me repens d’avoir employé là le mot de fortune, quand je vois des hommes assujettis à la fâcheuse habitude de dire au lieu de : « Dieu l’a voulu, » « la fortune l’a voulu. » En cet autre passage : « Il a été établi soit par nos mérites, soit par une nécessité de nature, qu’une âme de création divine, mais attachée aux choses mortelles, ne pourrait jamais arriver au port de la philosophie[2] ; » je devais ou ne rien dire de l’une et de l’autre de ces deux alternatives, parce que sans cela le sens pouvait être complet ; ou bien me borner à dire : « par nos mérites, » ce qui est vrai de la misère qu’Adam nous a léguée ; et il ne fallait pas ajouter : « soit par une nécessité de nature, » puisque cette dure nécessité de notre nature vient à bon droit de l’iniquité antérieure et originelle. De même aussi dans cette phrase : « Il ne faut rendre aucun culte, il faut au contraire renoncer absolument à tout ce qui se voit par les regards mortels, à tout ce qui s’atteint par les sens[3], » j’aurais dû ajouter : « tout ce qui s’atteint par les sens de ce corps mortel ; » car il y a aussi un sens intérieur et spirituel. Mais

  1. Liv. I, C. I, n. 1 et 7.
  2. Ibid.
  3. Ibid. n. 3.