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cide. Pourquoi ? Il convoitait la femme ou l’héritage de son frère, il a voulu le voler pour vivre, ou se mettre en garde contre ses larcins ; il brûlait de venger une offense. Aurait-il tué pour le plaisir même du meurtre ?

Est-ce croyable ? Car s’il est dit de cet homme, monstre de démence et de cruauté, qu’il était gratuitement méchant et cruel, nous savons néanmoins pourquoi. « Il craignait, dit l’historien, que le repos n’énervât sa main ou son cœur[1]. » Mais ici encore, pourquoi ? Il voulait que cette pratique du crime le rendît maître de Rome, fît tomber dans ses mains honneurs, richesses, autorité ; l’affranchît de la crainte des lois, et de cette détresse où le réduisaient la perte de sa fortune et la conscience de ses crimes. Ce Catilina n’aimait donc pas ses forfaits mêmes, mais la fin qui le portait à les commettre.

Chapitre VI.

il se trouve dans les péchés une imitation fausse des perfections divines.

12. Qu’ai-je donc aimé en toi, malheureux larcin, crime nocturne de mes seize ans ? Tu n’étais pas beau, étant un larcin ; es-tu même quelque chose, pour que je parle à toi ? Ces fruits volés par nous étaient beaux, parce qu’ils étaient votre œuvre, beauté infinie, créateur de toutes choses, Dieu bon, Dieu souverain bien et mon bien véritable. Ces fruits étaient beaux ; mais ce n’était pas eux que convoitait mon âme misérable ; j’en avais de meilleurs en abondance ; je ne les ai donc cueillis que pour voler. Car aussitôt je les jetai, ne savourant que l’iniquité, ma seule jouissance, ma seule joie. Si j’en approchai quelqu’un de ma bouche, je n’y goûtai que la saveur de mon crime.

Et maintenant, Seigneur mon Dieu, je cherche ce qui m’a plu dans ce larcin, et je n’y vois aucune ombre de beauté. Je ne parle point de cette beauté qui réside dans l’équité, dans la prudence ; ou bien, dans l’esprit de l’homme, sa mémoire, ses sens, sa vie végétative ; ni de la splendide harmonie des corps célestes, et de la terre et de la mer se peuplant de créatures par une continuelle succession de naissances et de morts ; ni même de cette beauté menteuse, voile des vices décevants.

13. Car l’orgueil contrefait l’élévation ; et vous seul, ô mon Dieu, êtes élevé au-dessus de tous les êtres. L’ambition, que cherche-t-elle, sinon les honneurs et la gloire ? Et vous seul devez être honoré, seul glorifié dans tous les siècles. La tyrannie veut se faire craindre ; et qui est à craindre que vous seul, ô Dieu ? Votre pouvoir se laisse-t-il jamais rien ravir, rien soustraire ? Quand, où, par qui se pourrait-il ? Et les profanes caresses veulent surprendre l’amour ; mais quoi de plus caressant que votre amour ? Quoi de plus heureusement aimable que la beauté resplendissante et souveraine de votre vérité ? La curiosité se donne pour la passion de la science ; et vous seul possédez la science universelle et suprême. L’ignorance même et la stupidité ne se couvrent-elles pas du nom de simplicité et d’innocence, parce que rien ne saurait être plus simple que vous ? Rien de plus innocent que vous, car c’est dans leurs œuvres que les méchants trouvent leur ennemi. La paresse prétend n’être que l’appétence du repos ; et quel repos assuré que dans le Seigneur ? Le luxe se dit magnificence ; mais vous êtes la source vive et inépuisable des incorruptibles délices. La profusion se farde des traits de la libéralité ; mais vous êtes l’opulent dispensateur de toutes largesses. L’avarice veut beaucoup posséder, et vous possédez tout. L’envie dispute la prééminence ; quoi de plus éminent que vous ? La colère cherche la vengeance ; qui se venge plus justement que vous ? La crainte frémit des soudaines rencontres, menaçantes pour ce qu’elle aime ; elle veille à sa sécurité : mais pour vous est-il rien d’étrange, rien de soudain ? Qui vous sépare de ce que vous aimez ? Hors de vous, où est la constante sécurité ? La tristesse se consume dans la perte des jouissances passionnées, parce qu’elle voudrait qu’il lui fût aussi impossible qu’à vous de rien perdre.

14. Ainsi l’âme devient adultère, lorsque, détournée de vous, elle cherche hors de vous ce qu’elle ne trouve, pur et sans mélange, qu’en revenant à vous. Ceux-là vous imitent avec perversité, qui s’éloignent de vous, qui s’élèvent contre vous. Et toutefois, en vous imitant ainsi, ils montrent que vous êtes le créateur de l’univers, et que vous ne laissez aucune place où l’on puisse se retirer entièrement de vous. Et moi, qu’ai-je donc aimé dans ce larcin ? En quoi ai-je imité mon Dieu ? faux et criminel imitateur ! Ai-je pris plaisir à en-

  1. Sallust. Guerr. De Cat., c. ix.