nommé Faustus, grand lacet du diable, qui avait fait tomber plusieurs à l’appât de son éloquence. Tout en l’admirant, je savais néanmoins la distinguer des vérités que j’étais avide d’apprendre : et je regardais moins au vase du discours, qu’au mets de science que ce célèbre Faustus servait à mon esprit. Car sa réputation me l’avait annoncé comme riche en savoir et profond dans les sciences libérales.
Et comme j’avais lu un grand nombre de philosophes, et retenu leurs doctrines, j’en comparais quelques-unes avec ces longues rêveries des Manichéens, et je trouvais plus de probabilité aux sentiments, de ceux qui « ont pu pénétrer dans l’économie du monde, quoiqu’ils n’en aient jamais trouvé le Maître[1]. Car vous êtes grand, Seigneur, vous approchez votre regard des abaissements et vous l’éloignez des hauteurs[2] ; » vous ne vous découvrez qu’aux cœurs contrits, et vous êtes impénétrable aux superbes ; leur curieuse industrie sût-elle d’ailleurs le compte des étoiles et des grains de sable, la mesure de l’étendue céleste, eût-elle exploré la route des astres !
4. C’est par leur esprit, c’est par le génie que vous leur avez donné, qu’ils cherchent ces secrets ; ils en découvrent beaucoup ; ils annoncent plusieurs années d’avance les éclipses de soleil et de lune, et le jour, et l’heure, et le degré ; et leur calcul ne les trompe pas, et il arrive selon leurs prédictions ; et ils ont écrit les lois de leurs découvertes qu’on lit encore aujourd’hui, et qui servent à prédire quelle année, quel mois de l’année, quel jour du mois, quelle heure du jour, en quel point de son disque la lune ou le soleil doit subir une éclipse, et il arrivera comme il est prédit.
Et les hommes admirent, les ignorants sont dans la stupeur, et les savants se glorifient et s’élèvent. Et, dans leur superbe impie, ils se retirent de votre lumière ; infaillibles prophètes des éclipses du soleil, ils ne se doutent pas de celle qu’ils souffrent eux-mêmes à cette heure. Ils ne recherchent pas avec une pieuse reconnaissance de qui ils tiennent ce génie de recherche. Et s’ils vous découvrent comme leur auteur, ils ne se donnent pas à vous, pour que vous conserviez votre ouvrage ; et ils ne vous immolent pas l’homme qu’ils ont fait en eux, ils ne vous offrent en sacrifice ni ces oiseaux de leurs téméraires pensées, ni ces monstres de leur curiosité qui leur font une voie secrète aux profondeurs de l’abîme, ni ces boucs de leurs impudicités, afin que votre feu, Seigneur, dévore toute cette mort palpitante, et les engendre à l’immortalité.
5. Mais ils ne savent pas la voie, votre Verbe, par qui vous avez fait tous les objets qu’ils nombrent, et eux-mêmes qui les nombrent, et le sens qui leur découvre ce qu’ils nombrent, et l’esprit qui leur donne la capacité de nombrer ; « votre sagesse seule exclut le nombre[3]. » Et votre Fils unique s’est fait notre sagesse, notre justice et notre sanctification[4] : il a été nombré parmi nous, il a payé le tribut à César[5]. Oh ! ils ne savent pas cette voie qui fait descendre de soi-même vers lui, pour monter par lui jusqu’à lui ! Ils ne savent pas cette voie, et ils se croient élevés et rayonnants comme les astres, et les voilà froissés contre terre ; « et les ténèbres ont envahi la folie de leur cœur[6] ! » Ils disent sur la créature beaucoup de vérités, et ils ne cherchent pas avec piété la Vérité créatrice ; c’est pourquoi ils ne la trouvent pas ; ou s’ils la trouvent, « ils la reconnaissent pour Dieu, sans l’honorer comme Dieu, sans lui rendre grâces ; mais ils se dissipent dans la vanité de leurs pensées, et ils se disent sages » en s’appropriant ce qui est à vous, et, en retour, leur aveugle perversité vous attribue ce qui leur appartient ; ils vous chargent de leurs mensonges, vous qui êtes la vérité ; « ils transforment la gloire du Dieu incorruptible en la ressemblance et l’image de l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des serpents ; ils changent votre vérité en mensonge ; ils adorent et servent la créature de préférence au Créateur[7]. »
6. Ces hommes, néanmoins, m’avaient révélé beaucoup de vérités naturelles, et j’en saisissais la raison par l’ordre et le calcul des temps, par les visibles témoignages des astres ; et je comparais ces observations aux discours de Manès qui a écrit sur ce sujet de longues extravagances où je ne trouvais la raison ni des solstices, ni des équinoxes, ni des éclipses, ni d’aucun phénomène dont la philosophie du siècle avait su m’informer. Et j’étais tenu de croire à des rêveries en désaccord parfait avec les règles mathématiques et l’observation de mes yeux.