Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/413

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lui à des entretiens sur l’art oratoire dont il était épris, et que j’enseignais aux jeunes gens de Carthage ; à des lectures dont il était curieux par ouï-dire, ou que je jugeais conformes à la tournure de son esprit. Tout effort d’ailleurs pour avancer dans cette secte cessa de ma part, sitôt que je connus cet homme. Je n’en vins pas toutefois à rompre avec eux, mais je me résignai provisoirement, faute de mieux, à rester là où je m’étais jeté en aveugle, attendant qu’une lumière nouvelle déterminât un meilleur choix. Ainsi, ce Faustus, qui avait été pour plusieurs un lacet mortel, relâchait déjà, à son insu et sans le vouloir, les nœuds où j’étais pris. Vos mains, ô mon Dieu, actives dans le secret de votre Providence, n’abandonnaient pas mon âme ; et les larmes de ma mère, ce sang de son cœur qui coulait nuit et jour, montaient vers vous en sacrifice pour moi. Telle a été votre conduite à mon égard, admirable et cachée. Oui, votre conduite, ô mon Dieu ! Car « c’est le Seigneur, qui dirige les pas de l’homme, et l’homme désirera sa voie (Ps. XXXVI, 23). » Et qui peut procurer le salut, que la main toute-puissante qui refait ce qu’elle a fait ?

Chapitre VIII, Il va à Rome malgré sa mère.

14. C’est donc par un ordre inconnu de votre Providence, qu’il me fut persuadé d’aller a Rome, pour y enseigner la rhétorique plutôt, qu’à Carthage. Et d’où me vint cette persuasion, je ne manquerai pas de vous le confesser, parce qu’ici les abîmes de vos secrets, et la présence permanente de votre miséricorde sur nous, se découvrent à ma pensée et sollicitent mes louanges. Je ne me laissai pas conduire à Rome par l’espoir que m’y promettaient mes amis, de considération et d’avantages plus grands, quoique de telles raisons fussent alors toutes-puissantes sur mon esprit ; mais la plus forte, la seule même qui me décida, c’est que j’avais ouï dire que la jeunesse y était plus studieuse, plus patiente de l’ordre et de la répression ; qu’un maître n’y voyait jamais sa classe insolemment envahie par des disciples étrangers à ses leçons, et qu’on ne pouvait même y être admis que sur sa permission.

Or, rien n’est comparable à la honteuse et brutale licence des écoliers de Carthage. Ils forcent l’entrée des cours avec fureur et leur démence effrontée bouleverse l’ordre que chaque maître y établit dans l’intérêt de ses disciples. Ils commettent, avec une impudente stupidité, mille insolences que la loi devrait punir, si elles ne comptaient sur le patronage de la coutume. Malheureux, qui font, comme licite, ce qui sera toujours illicite devant votre loi éternelle ; qui croient à l’impunité, déjà punis par leur cécité morale, et souffrant incomparablement plus qu’ils ne font souffrir. Ces brutales habitudes dont, écolier, j’avais su me préserver, maître ; j’étais contraint de les endurer. Voilà ce qui m’attirait où un témoignage unanime m’assurait qu’il ne se passait rien de semblable.

Mais vous, « mon espérance et mon héritage dans la terre des vivants (Ps CXLI, 6) », vous m’inspiriez ce désir de migration pour le salut de mon âme, vous prêtiez des épines à Carthage pour m’en arracher, des charmes à Rome pour m’y attirer, et cela par l’entremise de ces hommes, amateurs de cette mort vivante ; les uns m’étalant leurs insolences, les autres leurs vaines promesses, et, afin de redresser mes pas, vous vous serviez en secret de leur malice et de la mienne. Ces perturbateurs de mon repos étaient possédés d’une aveugle frénésie ; ces tauteurs de mes espérances n’avaient de goût que pour la terre, et moi, qui détestais à Carthage une réalité de misère, je poursuivais a Rome un mensonge de félicité.

15. Mais pourquoi sortir d’ici et aller là ? vous le saviez, mon Dieu, sans m’en instruire, sans en instruire ma mère, a qui mon départ déchira l’âme, et qui me suivit jusqu’à la mer. Elle s’attachait à moi avec force, pour me retenir ou pour me suivre ; et je la trompai, ne témoignant d’autre dessein que celui d’accompagner un ami prêt à faire voile au premier vent favorable. Et je mentis à ma mère, et à quelle mère ! et je pris la fuite. Vous m’avez pardonné dans votre miséricorde ; vil, et souillé, vous m’avez préservé des eaux de la mer, pour m’amener à l’eau de votre grâce, qui, en me purifiant, devait sécher ces torrents de larmes dont ma mère marquait chaque jour la place des prières qu’elle versait pour moi. Et comme elle refusait de s’en retourner sans moi, je lui persuadai, non sans peine, de passer la nuit dans un monument dédié à saint Cyprien, non loin du vaisseau. Cette même nuit, je partis à (401) la