Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/425

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voisin de Carthage, et Carthage même, son séjour ordinaire, et le vaste domaine de son père, et sa mère qui ne songeait pas à le suivre — il avait tout quitté pour venir à Milan vivre avec moi dans la poursuite passionnée de la vérité et de la sagesse. Il soupirait comme moi, il flottait comme moi, ardent à la recherche de la vie bienheureuse, profond dans l’examen des plus difficiles problèmes. Voilà donc trois bouches affamées, exhalant entre elles leur mutuelle indigence, et attendant de vous leur nourriture au temps marqué. Et, dans l’amertume dont votre miséricorde abreuvait notre vie séculière, considérant le but de nos souffrances, nous ne trouvions plus que ténèbres. Nous nous détournions en gémissant, et nous disions : Jusques à quand ? Et tout en le répétant, nous poursuivions toujours, parce qu’il ne nous apparaissait rien de certain que nous pussions saisir en lâchant le reste.

Chapitre XI, Vives perplexités d’Augustin.

18. Et je ne pouvais, sans un profond étonnement, repasser dans ma mémoire tout ce long temps écoulé depuis la dix-neuvième année de mon âge, où je m’étais si vivement épris de la sagesse, résolu d’abandonner à sa rencontre les vaines espérances et les trompeuses chimères de mes passions. Et déjà j’accomplissais mes trente ans, embourbé dans la même fange, avide de jouir des objets présents, périssables, et qui divisaient mon âme. Je trouverai demain, disais-je ; demain la vérité paraîtra, et je la saisirai. Et puis, Faustus va venir, il m’expliquera tout. O grands maîtres de l’Académie ! on ne peut rien tenir de certain pour régler la vie. Mais non, cherchons mieux ; ne désespérons pas. Voici déjà que les absurdités de l’Ecriture ne sont plus des absurdités ; une interprétation différente satisfait la raison. Arrêtons-nous sur les degrés où, entant, mes parents m’avaient déposé, jusqu’à ce que se présente la vérité pure.

Mais où, mais quand la chercher ? Ambroise n’a pas une heure à me donner, je n’en ai pas une pour lire. Et puis, où trouver des livres ? quand et comment s’en procurer ? à qui en emprunter ? Réglons le temps ; ménageons-nous des heures pour le salut de notre âme. Une grande espérance se lève. La foi catholique n’enseigne pas ce dont l’accusait la vanité de mon erreur. Ceux qui la connaissent condamnent comme un blasphème la croyance que Dieu soit borné aux limites d’un corps humain ; et j’hésite à frapper pour qu’on achève de m’ouvrir ? La matinée est donnée à mes disciples : que fais-je le reste du jour ? pourquoi cette négligence ? Mais trouverai-je un moment pour rendre visite à des amis puissants, dont le crédit m’est nécessaire ? pour préparer ces leçons que je vends ? pour donner quelque relâche à mon esprit fatigué de tant de soins ?

19. Périssent toutes ces vanités, périsse tout ce néant ; employons-nous à la seule recherche de la vérité. Cette vie est misérable et l’heure de la mort incertaine ; si elle nous surprend, en quel état sortirons-nous d’ici ? Où apprendrons-nous ce que nous y aurons négligé d’apprendre ? ou plutôt ne nous faudra-t-il pas expier cette négligence ? Et si la mort allait trancher tout souci avec ce nœud de chair ? Si tout finissait ainsi ? Encore s’en faut-il enquérir. Mais non ; blasphème qu’un tel doute ! Ce n’est pas un rien, ce. n’est pas un néant qui élève la foi chrétienne à cette hauteur d’autorité par tout l’univers. Le doigt de Dieu n’aurait pas opéré pour nous tant de merveilles, si la mort du corps absorbait la vie de l’âme. Que tardons-nous, que ne laissons-nous là l’espoir du siècle, pour nous appliquer tout entier à chercher Dieu et la vie bienheureuse ?.

Mais attends encore ; n’est-il plus de charme dans ce monde ? a-t-il perdu ses puissantes séductions ? n’en détache pas ton cœur à la légère. Il serait honteux de revenir à lui après l’avoir quitté. Vois, à quoi tient-il que tu n’arrives à une charge honorable ? Que pourrais-tu souhaiter après ? N’ai-je pas en effet des amis puissants ? Quel que soit mon empressement à limiter mes espérances, je puis toujours aspirer à une présidence de tribunal ; et je prendrai une femme dont la fortune sera suffisante à mon état, et là se borneront mes désirs. Combien d’hommes illustres et dignes de servir d’exemples, ont vécu mariés, et fidèles à la sagesse !

20. Ainsi disais-je ; et les vents contraires de mes perplexités jetaient mon cœur çà et là ; et le temps passait ; et je tardais à me convertir à vous, Seigneur mon Dieu ; je différais de jour en jour de vivre en vous, et je ne différais pas un seul jour de mourir en moi-même. Aimant la vie bienheureuse, je la redoutais dans son (413) séjour,