Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/466

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celui-là même m’a donné la vie, qui me prend sous sa tutelle ; et celui-là, c’est vous, ô mon tout-bien ! ô tout-puissant ! qui êtes avec moi dès avant que je sois avec vous ! Je révélerai donc à ceux que vous m’ordonnez de servir, ce que je suis aujourd’hui, ce peu que je suis encore. « Mais je ne me juge pas (I Cor. IV, 3). » Qu’on m’écoute dans l’esprit où je parle.

Chapitre V, L’Homme ne se connaît pas entièrement lui-même.

7. C’est vous, Seigneur, qui êtes mon juge, parce que, bien que nul homme ne sache rien de l’homme que l’esprit de l’homme « qui est en lui (I Cor. II, 11), » cependant il est quelque chose de l’homme que ne sait pas même l’esprit de l’homme qui est en lui. Mais vous savez tout de lui, Seigneur, qui l’avez fait. Et moi, qui m’abaisse sous votre regard, qui ne vois en moi que terre et que cendre, je sais pourtant de vous une chose que j’ignore de moi. Et certes, ne vous voyant pas encore face à face, mais en énigme et par miroir < ! --j’ai retraduit, ce n’était pas intelligible-->( Ibid. XIII, 12), dans cet exil, errant loin de vous, plus présent à moi-même qu’à vous, je sais néanmoins que vous êtes inviolable, et j’ignore à quelles tentations je suis ou ne suis pas capable de résister.

Et j’ai l’espérance que, fidèle comme vous l’êtes, ne permettant pas que nous soyons tentés au delà de nos forces, vous nous donnez la puissance de sortir vainqueurs de la tentation, afin que vous puissiez persévérer ( I Cor. X, 13). Je confesserai donc, de moi, ce que je sais, et aussi ce que j’ignore. Car ce que je connais de moi, je le connais à votre lumière, et ce que j’ignore de moi, je l’ignore jusqu’à ce que votre face change mes ténèbres en midi ( Isaïe, LVIII, 10).

Chapitre VI, Ce qu’il sait avec certitude, c’est qu’il aime Dieu.

8. Ce que je sais, de toute la certitude de la conscience, Seigneur, c’est que je vous aime. Vous avez percé mon cœur de votre parole, et à l’instant je vous aimai. Le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent ne me disent-ils pas aussi de toutes parts qu’il faut que je vous aime ? Et ils ne cessent de le dire aux hommes, « afin qu’ils demeurent sans excuse ( Rom. I, 20). » Mais le langage de votre miséricorde est plus intérieur en celui dont vous daignez avoir pitié, et à qui il vous plaît de faire grâce (Ibid, IX ; 15) ; autrement le ciel et la terre racontent vos louanges à des sourds.

Qu’aimé-je donc en vous aimant ? Ce n’est point la beauté selon l’étendue, ni la gloire selon le temps, ni l’éclat de cette lumière amie à nos yeux, ni les douces mélodies du chant, ni la suave odorance des fleurs et des parfums, ni la manne, ni le miel, ni les délices de la volupté.

Ce n’est pas là ce que j’aime en aimant mon Dieu, et pourtant j’aime une lumière, une mélodie, une odeur, un aliment, une volupté, en aimant mon Dieu ; cette lumière, cette mélodie, cette odeur, cet aliment, cette volupté, suivant l’homme intérieur ; lumière, harmonie, senteur, saveur, amour de l’âme, qui défient les limites de l’étendue, et les mesures du temps, et le souffle des vents, et la dent de la faim, et le dégoût de la jouissance, Voilà ce que j’aime en aimant mon Dieu.

9. Et qu’est-ce enfin ? J’ai interrogé la terre, et elle m’a dit : « Ce n’est pas moi. » Et tout ce qu’elle porte m’a fait même aveu. J’ai interrogé la mer et les abîmes, et les êtres animés qui glissent sous les eaux, et ils ont répondu : « Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au-dessus de nous. » J’ai interrogé les vents, et l’air avec ses habitants m’a dit de toutes parts : « Anaximènes se trompe ; je ne suis pas Dieu. » J’interroge le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, et ils me répondent : « Nous ne sommes pas non plus le Dieu que tu cherches. » Et je dis enfin à tous les objets qui se pressent aux portes de mes sens : « Parlez-moi de mon Dieu, puisque vous ne l’êtes pas ; dites-moi de lui quelque chose. » Et ils me crient d’une voix éclatante : « C’est lui qui nous a faits ( Ps. XCIX, 3). »

La voix seule de mon désir interrogeait les créatures, et leur seule beauté était leur réponse. Et je me retournai vers moi-même, et je me suis dit : Et toi, qu’es-tu ? Et j’ai répondu :

« Homme. » Et deux êtres sont sous mon obéissance ; l’un extérieur, le corps ; l’autre en moi et caché, l’âme. Auquel devais-je plutôt demander mon Dieu, vainement cherché, à travers le voile de mon corps, depuis la terre jusqu’au ciel, aussi loin que je puisse lancer en émissaires les rayons de mes yeux ? (454)

Il valait mieux consulter l’être intérieur,