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CHAPITRE XXV.

DANS QUELLE PARTIE DE LA MÉMOIRE TROUVONS-NOUS DIEU ?

36. Mais où demeurez-vous dans ma mémoire, vous, Seigneur ? où y demeurez-vous ? Quelle chambre vous y êtes-vous faite ? Quel sanctuaire vous êtes-vous bâti ? Vous lui avez fait cet honneur d’habiter en elle, je le sais ; mais c’est votre logement que j’y cherche. Lorsque mon cœur s’est rappelé mon Dieu, j’ai traversé toutes ces régions de souvenir qui me sont communes avec les bêtes ; ne vous trouvant pas entre les images des objets sensibles, je vous ai demandé à la résidence où je mets en dépôt les affections de mon esprit ; mais vainement : j’ai pénétré au siège même de l’esprit, hôte de ma mémoire, car l’esprit se souvient aussi de soi-même ; et vous n’y étiez pas, parce que vous n’êtes ni une image sensible, ni une affection du principe vivant en nous, comme la joie, la tristesse, le désir, la crainte, le souvenir, l’oubli, ni l’esprit lui-même, mais le Seigneur, Dieu de l’esprit.

Instabilité que tout cela, et pourtant vous, éternel et immuable, vous avez daigné demeurer dans ma mémoire depuis que je vous ai connu. Et je demande encore où vous habitez en elle, comme si elle était lieu ? Mais certes vous habitez en elle, puisque je me souviens de vous depuis l’heure où je vous ai connu, et c’est en elle que je vous retrouve, lorsque votre souvenir se représente à mon cœur.


CHAPITRE XXVI.

DIEU EST LA VÉRITÉ QUE LES HOMMES CONSULTENT.

37. Mais où donc vous ai-je trouvé pour vous apprendre ? Vous n’étiez pas dans ma mémoire avant de m’être connu. Où donc vous ai-je trouvé, sinon en vous, au-dessus de moi ? Entre vous et nous le lieu n’existe pas, et nous nous approchons, nous nous éloignons de vous sans distance. Vérité, oracle universel, vous siégez partout pour répondre à ceux qui vous consultent ; vos réponses fournissent en tous lieux à tant de consulteurs divers ! Vous parlez clairement, mais tous n’entendent pas de même. Tous conforment leurs demandes à leurs volontés, mais vous n’y conformez pas toujours vos réponses. Celui-là seul est votre zélé serviteur, qui a moins en vue d’entendre de vous ce qu’il veut, que de vouloir ce qu’il a entendu de vous.


CHAPITRE XXVII.

RAVISSEMENT DE CŒUR DEVANT DIEU.

38. Je vous ai aimée tard, beauté si ancienne, beauté si nouvelle, je vous ai aimée tard. Mais quoi ! vous étiez au dedans, moi au dehors de moi-même ; et c’est au dehors que je vous cherchais ; et je poursuivais de ma laideur la beauté de vos créatures. Vous étiez avec moi, et je n’étais pas avec vous ; retenu loin de vous par tout ce qui, sans vous, ne serait que néant. Vous m’appelez, et voilà que votre cri force la surdité de mon oreille ; votre splendeur rayonne, elle chasse mon aveuglement ; votre parfum, je le respire, et voilà que je soupire pour vous ; je vous ai goûté, et me voilà dévoré de faim et de soif ; vous m’avez touché, et je brûle du désir de votre paix.


CHAPITRE XXVIII.

MISÈRE DE CETTE VIE.

39. Quand je vous serai uni de tout moi-même, plus de douleur alors, plus de travail ; ma vie sera toute vivante, étant toute pleine de vous. L’âme que vous remplissez devient légère ; trop vide encore de vous, je pèse sur moi.

Mes joies déplorables combattent mes tristesses salutaires, et de quel côté demeure la victoire ? je l’ignore. Hélas ! Seigneur, ayez pitié de moi. Mes tristesses coupables sont aux prises avec mes saintes joies ; et de quel côté demeure la victoire ? je l’ignore encore. Hélas ! Seigneur, ayez pitié de moi ! pitié, Seigneur ! vous voyez ; je ne vous dérobe point mes plaies. O médecin, je suis malade ! ô miséricorde, vous voyez ma misère ! Ah ! n’est-ce pas une tentation continuelle que la vie de l’homme sur la terre [1] ?

Qui veut les afflictions et les épreuves ? Vous ordonnez de les souffrir, et non de les aimer. On n’aime point ce que l’on souffre, quoiqu’on en aime la souffrance. On se réjouit de souffrir, mais on choisirait de n’avoir pas tel sujet de joie. Dans le malheur, je désire la prospérité ; heureux, je crains le malheur. Entre ces deux

  1. Job. 7,1