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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/492

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vois si du moins l’année actuelle est elle-même présente. Est-ce son premier mois qui court ? les autres sont à venir. Est-ce le second ? le premier est déjà passé ; le reste n’est pas encore ; ainsi l’année actuelle n’est pas tout entière présente : et, partant, ce n’est pas une année présente ; car l’année, c’est douze mois, dont chacun à Son tour est présent ; le reste, passé ou futur. Et le mois courant, même, n’est pas présent, mais un seul de ses jours. Est-il le premier ? le reste est dans l’avenir. Est-il le dernier ? le reste est dans le passé. Est-il intermédiaire ? il est entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore.

20. Voilà donc ce temps présent que nous avons trouvé le seul qu’on pût appeler long ; le voilà réduit à peine à l’espace d’un jour. Et ce jour même, encore, discutons-le ; non, ce seul jour n’est pas tout entier présent : car il s’accomplit en vingt-quatre heures, douze de jour, douze de nuit, dont la première précède, et la dernière suit toutes les autres, l’intermédiaire suit et précède.

Et cette même heure se compose elle-même de parcelles fugitives. Tout ce qui s’en détache, s’envole dans le passé ; ce qui en reste est avenir. Que si l’on conçoit un point dans le temps sans division possible de moment, c’est ce point-là seul qu’on peut nommer présent. Et ce point vole, rapide, de l’avenir au passé, durée sans étendue ; car s’il est étendu, il se divise en passé et avenir.

Ainsi, le présent est sans étendue. Où donc est le temps que nous puissions appeler long ? Est-ce l’avenir ! Non : car il ne peut être long sans être. Nous disons donc : Il sera long. Mais quand le sera-t-il ? Non sans doute tant qu’il sera avenir, n’étant pas encore, pour être long. Que s’il ne doit être long qu’au moment où, de futur, il commencera d’être ce qu’il n’est pas encore, c’est-à-dire présent, ayant un être, et de quoi être long, n’oublions pas que le présent nous a crié à haute voix : Non, je ne saurais être long.

Chapitre XVI, Comment se mesure le temps ?

21. Et pourtant, Seigneur, nous apercevons bien les intervalles des temps, nous les comparons entre eux, et nous disons les uns plus longs, les autres plus courts ; nous mesurons encore la différence ; nous constatons qu’elle est double, triple, etc., ou nous affirmons l’égalité. Mais notre aperception qui mesure les temps ne mesure que leur passage : car le passé, qui n’est plus, l’avenir, qui n’est pas encore, peuvent-ils se mesurer, à moins que l’on ne prétende que le néant soit mesurable ? Ce n’est donc que dans sa fuite que le temps s’aperçoit et se mesure. Est-il passé ? il n’est point mesurable, car il n’est plus,

Chapitre XVII, Ou est le passé, ou est l’avenir ?

22. Je cherche, ô Père, je n’affirme rien ; mon Dieu, soyez l’arbitre et le guide de mes efforts. Qui oserait me dire qu’il n’existe pas trois temps, comme notre enfance l’a appris, comme nous l’enseignons à l’enfance : le passé, le présent et l’avenir, mais que le présent seul existe, les deux autres n’étant point ? Ou bien faut-il dire qu’ils sont ; et que le temps sort d’une retraite inconnue, quand, de futur, il devient présent, et qu’il rentre dans une autre, également inconnue, quand, de présent, il devient passé ? Car si l’avenir n’est pas encore, où donc l’ont vu ceux qui l’ont prédit ? Ce qui n’est pas peut-il se voir ? Et les narrateurs du passé seraient-ils vrais, si ce passé n’était —visible à leur esprit ? Et pourraient-ils se voir, l’un et l’autre, s’ils n’étaient que pur néant ? Il faut donc que le passé et l’avenir aient un être.

Chapitre XVIII, Comment le passé et l’avenir sont présents.

23. Permettez-moi, Seigneur, de chercher encore. Ô mon espérance, éloignez le trouble de mes efforts. S’il est vrai que l’avenir et le passé soient, où sont-ils ? Si cette connaissance est encore au-dessus de moi, je sais pourtant que, où qu’ils soient, ils n’y sont ni passé, ni futur, mais présent : le futur, comme tel, n’y est pas encore ; le passé, comme tel, n’y est déjà plus. Où donc qu’ils soient, quels qu’ils soient, ils ne sont qu’en tant que présent. Ainsi dans un récit véritable d’événements passés, la mémoire ne reproduit pas les réalités qui ne sont plus, mais les mots nés des images qu’elles ont laissées en passant par nos sens, comme les traces de leurs pas. Mon enfance évanouie est dans le passé, évanoui comme elle. Mais quand j’y pense, quand j’en parle, je revois son (480) image dans le temps présent,